Revoir la page d'ouverture
Revenir aux Archivaudages 

Tristan CORBIÈRE, Rondels pour après
Les Amours jaunes, 1873



SONNET POSTHUME

Dors : ce lit est le tien... Tu n'iras plus au nôtre.
— Qui dort dîne. — À tes dents viendra tout seul le foin.
Dors : on t'aimera bien — L'aimé c'est toujours
l'Autre...
Rêve : La plus aimée est toujours la plus loin...

Dors : on t'appellera beau décrocheur d'étoiles !
Chevaucheur de rayons !... quand il fera bien noir ;
Et l'ange du plafond, maigre araignée, au soir,
— Espoir — sur ton front vide ira filer ses toiles.

Museleur de voilette ! un baiser sous le voile
T'attend... on ne sait où : ferme les yeux pour voir.
Ris : Les premiers honneurs t'attendent sous le poêle.

On cassera ton nez d'un bon coup d'encensoir,
Doux fumet !... pour la trogne en fleur, pleine de moelle
D'un sacristain très-bien, avec son éteignoir.


_______


RONDEL

Il fait noir, enfant, voleur d'étincelles !
Il n'est plus de nuits, il n'est plus de jours ;
Dors... en attendant venir toutes celles
Qui disaient : Jamais ! Qui disaient : Toujours !

Entends-tu leurs pas ?... Ils ne sont pas lourds :
Oh ! les pieds légers ! — l'Amour a des ailes...
Il fait noir, enfant, voleur d'étincelles !

Entends-tu leurs voix ?... Les caveaux sont sourds.
Dors : Il pèse peu, ton faix d'immortelles ;
Ils ne viendront pas, tes amis les ours,
Jeter leur pavé sur tes demoiselles...
Il fait noir, enfant, voleur d'étincelles !


_______


DO, L'ENFANT, DO...

Buona vespre ! Dors : Ton bout de cierge...
On l'a posé là, puis on est parti.
Tu n'auras pas peur seul, pauvre petit ?...
C'est le chandelier de ton lit d'auberge.

Du fesse-cahier ne crains plus la verge,
Va !... De t'éveiller point n'est si hardi.

Buona sera ! Dors : Ton bout de cierge...

Est mort, — Il n'est plus, ici, de concierge :
Seuls, le vent du nord, le vent du midi
Viendront balancer un fil-de-la-Vierge.
Chut ! Pour les pieds-plats, ton sol est maudit.

— Buona notte ! Dors : Ton bout de cierge...

_______


MIRLITON

Dors d'amour, méchant ferreur de cigales !
Dans le chiendent qui te couvrira
La cigale aussi pour toi chantera,
Joyeuse, avec ses petites cymbales.

La rosée aura des pleurs matinales ;
Et le muguet blanc fait un joli drap...
Dors d'amour, méchant ferreur de cigales.

Pleureuses en troupeau passeront les rafales...

La Muse camarde ici posera,
Sur ta bouche noire encore elle aura
Ces rimes qui vont aux moelles des pâles...
Dors d'amour, méchant ferreur de cigales.


_______


PETIT MORT POUR RIRE

Va vite, léger peigneur de comètes !
Les herbes au vent seront tes cheveux ;
De ton oeil béant jailliront les feux
Follets, prisonniers dans les pauvres têtes...

Les fleurs de tombeau qu'on nomme Amourettes
Foisonneront plein ton rire terreux...
Et les myosotis, ces fleurs d'oubliettes...

Ne fais pas le lourd : cercueils de poètes
Pour les croque-morts sont de simples jeux,
Boîtes à violon qui sonnent le creux...
Ils te croiront mort — Les bourgeois sont bêtes —
Va vite, léger peigneur de comètes !


_______


MALE-FLEURETTE

Ici reviendra la fleurette blême
Dont les renouveaux sont toujours passés...
Dans les cœurs ouverts, sur les os tassés,
Une folle brise, un beau jour, la sème...

On crache dessus; on l'imite même,
Pour en effrayer les gens très-sensés...
Ici reviendra la fleurette blême.

— Oh ! ne craignez pas son humble anathème
Pour vos ventres mûrs, Cucurbitacés !
Elle connaît bien tous ses trépassés !
Et quand elle tue, elle sait qu'on l'aime...
— C'est la male-fleur, la fleur de bohème. —

Ici reviendra la fleurette blême.