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Albert MÉRAT, Le Regret
Les Souvenirs, 1872







I
PAYSAGE

À l'abri de l'hiver qui jetait vaguement
Sa clameur, dans la chambre étroite et bien fermée
Où mourait un bouquet fait de ta fleur aimée,
Parmi les visions de l'étourdissement ;

Pendant qu'avec la joie extrême d'un amant
Je froissais d'un cœur las et d'une main pâmée
L'étoffe frémissante et la chair embaumée,
Mon sang montait plus lourd à chaque battement.

J'avais le souvenir d'un ancien paysage :
Je revoyais, le front penché sur ton visage,
La source pure et claire au milieu des roseaux ;

Et, dans l'ombre où veillait la lampe en porcelaine,
S'ouvraient à la chaleur tiède de mon haleine
Tes froids regards, pareils aux larges fleurs des eaux.


II
L'ADIEU

Quand elle part, sa grâce invente des retours
Charmants, un gant laissé, la fenêtre mal close ;
« Elle avait oublié de dire quelque chose... »
C'est toujours puéril et c'est exquis toujours.

La dernière caresse a fait ses bras plus lourds,
Et je baise sa lèvre où brûle le sang rose.
Tout mon bonheur se lit aux lignes de sa pose ;
Je me perds dans la nuit de ses yeux de velours.

Elle viendra demain dans un frisson de soie ;
Et pourtant je ne sais, je tremble de ma joie :
C'est que j'ai toujours eu le souci des adieux.

Pendant que son humeur ne m'était point farouche,
J'aurais dû retenir le souffle de sa bouche
Et la lumière bleue et douce de ses yeux.


III
LE MENSONGE

Le bonheur qui me dit des paroles tout bas
Prend au son de ta voix ses grâces endormantes ;
Afin d’avoir ma part de minutes clémentes
Je veux la chaîne souple et blanche de tes bras.

Je veux ta chevelure et le bruit de tes pas,
Et ton souffle léger comme l'odeur des menthes.
J'ai besoin de trouver les étoiles charmantes ;
Que me serait leur ciel si je ne t'aimais pas ?

À ton tour aime-moi : rêve aussi ce doux songe ;
Ou, si tu ne peux pas, donne-m'en le mensonge :
Je sais croire, et je puis être heureux de ma foi !

Demeure haut, ainsi que mon cœur t'a placée,
Et souffre que l'espoir apaise ma pensée
Lors même que ton âme émanerait de moi.


IV
LA LETTRE

Chère épave d'amour ! Se peut-il qu'on oublie !
Oh ! ne laissez jamais le doux être adoré,
Pleurant et souriant, dire : « Je reviendrai. »
Ceux-là qui s'étaient joints, l'absence les délie.

Petite lettre écrite avec mélancolie
Un jour qu'elle était lasse et qu'elle avait pleuré !
Avril a ces tons frais de matin diapré :
Une ombre de tristesse, un rayon de folie.

Petite lettre, frêle et mignonne, qui mens,
Merci : tu m'as rendu les caprices charmants
Qu'avait sa voix de blonde et de Parisienne.

Je ferme le papier que le temps a jauni
Comme on laisse à regret, lorsque l'air est fini,
Un feuillet retrouvé de musique ancienne.


V
L'HEURE

C'est l'heure : je sais bien qu'elle ne viendra pas,
Qu'elle n'a pas noué la furtive dentelle,
Et que mon désir vain ne dira pas : c'est elle,
Devinant la musique exquise de ses pas.

Je sais que les doux mots qu'avait sa voix tout bas
Ne sont qu'un souvenir d'une langueur mortelle,
Et que j'ai perdu l'aide et la chère tutelle
De sa bouche, de ses regards et de ses bras.

Ô fantôme ! clémente amertume de l'heure !
Le passé de son aile invisible m'effleure,
Et dans l'illusion évoque le réel.

La blanche image a pris sa place accoutumée ;
Le mot court en riant sur la lèvre embaumée ;
Les yeux profonds et clairs s'ouvrent comme le ciel.


VI
ÉTOILES

Ses yeux, tout un printemps, éclairèrent ma vie.
Je marchais ébloui, la tenant par la main.
Elle était le rayon, l'étoile du chemin,
Et tant qu'elle a brillé sur moi, je l'ai suivie.

Ainsi mes jours passaient sans but et sans envie.
Puis vint l'été ; ce fut un triste lendemain.
Je ne vis plus l'étoile au doux regard humain,
Et la sérénité du ciel me fut ravie.

Et souvent, dans l'azur profond des soirs d'hiver,
Lorsque la lune au front du paysage clair
Pose comme un décor sa lueur métallique,

Seul, dans l'apaisement des soirs silencieux
Suivant l'éclosion lente et mélancolique
Des étoiles, j'ai pu reconnaître ses yeux.


VII
L'IMAGE

Comme la main distraite et qui n'a pas de thème
Précis, par la vertu secrète d'un aimant,
Décrit, sans y songer et machinalement,
Un contour au hasard jeté, toujours le même ;

Ainsi va ma pensée, et l'éternel problème
De l'amour la ramène à tracer constamment
Dans le cadre naïf d'un ovale charmant
Un sourire indécis et les chers yeux que j'aime.

L'image que poursuit ainsi mon souvenir
Est petite, et sa grâce entière peut tenir
Aux marges d'un sonnet : un rêve, une hirondelle !

À peine elle a posé légère sur mon cœur...
J'indique des traits fins, mais, dans un frisson d'aile,
L'oiseau frêle m'échappe avec un cri moqueur.


VIII
LUNE D'HIVER

À travers le réseau des branches que l'hiver
Trace avec la vigueur des dessins à la plume,
La lune, comme un feu qui dans le ciel s'allume,
Montait, luisant au bord du bois couleur de fer.

Tu manquais à mon bras, mignonne ; et ton pied cher
À qui marcher fait mal et qui n'a pas coutume
D'aller loin, sur la bande étroite du bitume
Ne faisait pas crier le sable fin et clair.

Pourtant lent et distrait, sous cette grande allée
Où le bruit de mes pas fait partir la volée
Des rêves vers le sourd abîme de l'azur,

Je crus qu'auprès de moi palpitait quelque chose :
Et, me tournant pour voir rire ta bouche rose,
Je vis mon ombre longue et triste sur le mur.


IX
LES VIOLETTES

Une habitude longue et douce lui faisait
Aimer pendant l'hiver les violettes blanches ;
À l'agrafe du châle un peu court sur les hanches
Son doigt fin, sentant bon comme elles, les posait.

Un jour que le soleil piquant et clair grisait
Les moineaux francs criant par terre et dans les branches,
Elle me proposa d'aller tous les dimanches
Cueillir avec l'amour la fleur qui lui plaisait.

À présent, ce bouquet est tout ce que j'ai d'elle ;
Mais j'y trouve toujours, pénétrant et fidèle,
Un vivace parfum émané de son cœur.

Tel le verre vidé qu'un souvenir colore :
Le regret du buveur pensif l'embaume encore
Et la lèvre y croit boire un reste de liqueur.