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Paul SCARRON


Aux VERMISSEAUX



Recueil des Œuvres burlesques de Mr Scarron, dédiées à sa chienne

1648





Ha ! vraiment, petits Vermisseaux,
Faut bien que vous vous trouviez beaux
D’oser faire voir vos guenilles.
Hélas ! vous n’êtes que chenilles.
Petits enfants écervelés,
Savez-vous bien où vous allez ?
Votre entreprise est bien hautaine
D’aller courir la prétentaine.
À peine êtes-vous avortés,
Et déjà dehors vous sortez,
Et déjà vous courez les rues :
Revenez, rimes malotrues,
Revenez dans mon cabinet,
Et laissez là Toussaint Quinet,
Quoi qu’il vous prie et qu’il vous presse
D’aller faire jouer sa presse.
Croyez-moi, ne le croyez pas ;
Mais si vous franchissez ce pas,
Si le vain désir d’être livre
En dépit de moi vous enivre,
Voici ce qui arrivera :
Quelqu’un qui vous achètera
Dira dès la première page :
« Foin de l’auteur et de l’ouvrage !
Que le diable lui crache au cul !
Quinet, rendez mon quart d’écu
Et reprenez le livre vôtre,
Ou bien délivrez m’en un autre,
Ne fût-ce qu’un simple almanach,
Ou libelle contre Balzac,
Ou quelque froide comédie
Faite par auteur qui mendie. »
Rentrez donc dans mon cabinet,
Et laissez là Toussaint Quinet.
Je veux, si de vous il vend quatre,
Que mon laquais me puisse battre :
Lors Quinet aura pied de nez,
Et vous serez bien étonnés
Quand, quittant la petite salle,
Vous irez habiter la halle
Et, devenus papiers volants
Chez les vendeuses de merlans,
Vos pauvres feuilles déchirées
Envelopperont leurs denrées.
Ou du moins Quinet, de dépit
De voir si très maigre débit,
Vous en faisant mine très maigre,
Dira d’un ton de voix très aigre :
« Maudits soient les vers imprimés
Et celui qui les a rimés ! »
Mais il ne sera pas prud’homme,
Car lui-même sait fort bien comme,
Malgré mes dents et malgré moi,
Il vous imprime sur ma foi,
Et que je m’en lave la patte.
Mais quiconque est galeux se gratte,
Se mouche quiconque est morveux.
M’en tourmenter plus je ne veux.
Et vous, mes rimes ridicules,
Allez faire voir vos macules.
Mon logis en sera plus net
Quand vous logerez chez Quinet,
Vous qui croyez qu’être volume
Vaut mieux qu’être écrits à la plume,
Et qu’étant de bonne maison,
J’ai tort et vous avez raison,
Que votre envie est légitime
De vouloir que l’on vous imprime,
Que tout le monde vous lira,
Que chacun de vous parlera
Comme on fait des pièces nouvelles,
Que vous aurez dans les ruelles
Presque autant d’estime qu’en a
La Sophonisbe ou le Cinna,
Ibrahim ou la Mariamne,
Alcyonée ou la Roxane,
Et les œuvres de Saint-Amant
Au style si rare et charmant.
Mais de peur qu’il ne vous en deuille,
Revenez dans mon portefeuille ;
Cependant que vous l’habitiez,
En quelque estime vous étiez ;
Mais, ma foi, vous n’y serez guères
Lorsque vous deviendrez vulgaires,
Et chacun vous méprisera
Lorsque l’on vous exposera,
Vous appelant des bagatelles.
Après des remontrances telles,
Si vous poursuivez de faillir,
Rien sur moi n’en doit rejaillir.
J’en ai la conscience nette,
Sans lessive et sans savonnette.
Mais j’ai peur que Toussaint Quinet
Ne vous donne au diable tout net.