Pucelle de royal estoc,
Puissé-je perdre au jeu du hoc
Un peu plus que ma légitime
Si vous n’êtes dans mon estime
Plus avant que Sémiramis,
Ni que celle par qui fut mis
À mort le pendard Holopherne
Qui chut de son lit dans l’Averne,
En français c’est-à-dire enfer,
La maison du sieur Lucifer.
Toutes les grandes héroïnes
Dont Grèce et Rome font les fines,
En toute leur vie n’ont eu
La moitié de votre vertu.
Moins belle que vous est l’Aurore,
Et moins la printanière Flore,
Moins Vénus à l’estomac nu
Et moins Diane au front cornu,
Moins Junon, la dame fantasque,
Et moins Pallas qui porte un casque.
Bien moins le fut dame Héléna
Pour qui la Grèce malmena
Troie la nation fidèle,
Dont on tient que sortez la belle,
De par feu monseigneur Francus
Qui valait son pesant d’écus.
Incomparable est votre taille,
Et la déesse de bataille,
La très puissante Bellona,
Taille comme la vôtre n’a.
Oh ! qu’on connaît bien à la mine
Ceux qui sont de race divine !
L’autre jour, chez dame Hautefort,
La dame que j’aime si fort,
Vous entrâtes la fin première
Avec tel excès de lumière
Que j’en pensai perdre les yeux,
Tant lors vous brillâtes sur eux.
Je vous vis pourtant, quoiqu’indigne,
De profil, non en droite ligne,
Et je vous guignai seulement,
Car vous luisez trop puissamment.
L’oiseau qui fixement regarde
Le soleil, quelque rais qu’il darde,
S’il jetait ses regards sur vous
Guignerait et ferait l’œil doux.
Faut qu’on guigne, quoi que l’on fasse,
Quand on regarde votre face,
Et tout œil sur le vôtre ouvert,
S’il ne se clôt, vite se perd.
Alors je dis : « La malepeste !
C’est ici vision céleste
Qui vient nous éblouir céans.
C’est la pucelle d’Orléans,
Pucelle de royale tige. »
Derechef : « Malepeste ! fis-je.
Qu’elle a de grâces et d’appas !
Malheur à qui ne la voit pas ! »
Que ce terme, la malepeste,
Aucunement ne vous moleste.
À grand-peine est-il un serment.
Il n’est péché que quand on ment.
Et, s’il l’est, il ne peut pas être
Assez gros pour damner son maître :
Quand je fais exclamation,
Ou bien quelque affirmation,
Ce terme m’est presque ordinaire.
Mais je pourrais pourtant mieux faire.
« La malepeste ! fis-je donc.
De plus belle je n’en vis onc !
Qu’elle est fraîche, qu’elle est gentille !
La malepeste, quelle fille !
Et que qui sera son mari
Sera du grand Dieu favori ! »
Mais est-il bien vrai que, sans peine,
Vous faites de vers la centaine,
Et que de vous sort un dizain
Plus tôt que d’un autre un deuxain ?
Astre naissant, royale fille
Dont l’esprit admirable brille
Autant que brille la beauté,
À moi serait témérité
D’entreprendre votre peinture.
Je n’y songe pas, je vous jure.
Je la laisse aux mâche-lauriers,
Je la laisse aux grands ouvriers
Qui, pour mener droit à la gloire,
N’ont besoin que d’une écritoire,
Et par un seul petit sonnet
Vous immortalisent tout net.
Moi, je n’écris que bagatelles,
Et je ne donne que pour telles
Les vers que j’écris quelquefois
Aux dépens de mes pauvres doigts.
Seulement vous veux-je ici dire
Que votre mérite j’admire,
Que qui ne vous sait estimer
Se doit des gens d’honneur nommer
Un chien, et sa mère une louve.
Mais je ne crois pas qu’il s’en trouve,
Et s’il s’en trouve un assez fou,
Qu’il se puisse casser le cou.