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Georges de SCUDÉRY, Saisons
Poésies diverses, dédiées à monseigneur le duc de Richelieu, 1649







Le Printemps

Enfin la belle Aurore a tant versé de pleurs
Que l’aimable Printemps nous fait revoir ses charmes.
Il peint en sa faveur les herbes et les fleurs,
Et tout ce riche émail est l’effet de ses larmes.

Cybèle, que l’Hiver accablait de douleurs,
Et qui souffrait des vents les insolents vacarmes,
Mêle parmi ses tours les plus vives couleurs
Et triomphe à la fin par ces brillantes armes.

Les roses et les lis, d’un merveilleux éclat,
Confondent la blancheur au beau lustre incarnat ;
La tulipe changeante étale sa peinture ;

Le narcisse agréable à l’anémone est joint ;
Bref, tout se rajeunit, tout change en la Nature ;
Mais, superbe Philis, mon sort ne change point.


L’Été

Environné de feux et couvert de lumière,
Tu sors de l’océan, astre de l’univers ;
Et, des premiers rayons de ta clarté première,
Tu m’échauffes l’esprit et m’inspires ces vers.

Tu brilles de splendeur ; tu brûles toutes choses ;
Les vallons les plus frais en vain ont résisté :
Tu fais languir les lis, tu fais mourir les roses ;
Et la neige est fondue aux chaleurs de l’Été.

L’air est étincelant ; la terre est desséchée ;
La palme la plus fière a la tête penchée ;
Le laurier le plus vert résiste vainement.

Tout fume, tout périt par la céleste flamme.
Mais la plus vive ardeur d’un tel embrasement
M’incommode bien moins que celle de mon âme.


L’Automne

Ô saison bienfaisante, aimable et douce Automne,
Toi que le soleil voit d’un regard tempéré,
Toi qui, par les présents que ta faveur nous donne,
Fais arriver un bien qu’on a tant espéré !

Ce riche amas de fruits dont ton front se couronne
Rend par tous nos hameaux ton autel révéré.
L’abondance te suit ; le plaisir t’environne,
Mais un plaisir tranquille aussi bien qu’assuré.

Bacchus te suit partout, et Cérès t’accompagne.
Les coteaux élevés et la vaste campagne,
Leurs raisins et leurs blés te montrent tour à tour.

Chacun dans l’univers a le fruit de ses peines.
Moi seul, hélas ! moi seul, abusé par l’Amour,
N’ai qu’un espoir trompeur et des promesses vaines.


L’Hiver

L’air paraît tout obscur, la clarté diminue,
Les arbres sont tous nus, les ruisseaux tous glacés,
Et les rochers affreux, sur leurs fronts hérissés,
Reçoivent cet amas qui tombe de la nue.

Tout le ciel fond en eau ; la grêle continue ;
Des vents impétueux les toits sont renversés ;
Et Neptune en fureur aux vaisseaux dispersés
Fait sentir du trident la force trop connue.

Un froid âpre et cuisant a saisi tous les corps.
Le soleil contre lui fait de faibles efforts,
Et cet astre blafard n’a chaleur ni lumière.

L’univers désolé n’a plus herbes ni fleurs ;
Mais on le doit revoir dans sa beauté première,
Et l’orage éternel ne se voit qu’en mes pleurs.