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Georges de SCUDÉRY, Pour une Dame
Poésies diverses, dédiées à monseigneur le duc de Richelieu, 1649







Pour une dame malade

Apollon, dieu des vers et de la médecine,
Âme de la Nature et son plus ferme appui,
De cet œil qui voit tout vois Philis aujourd’hui
Dans un mal qui l’afflige et qui nous assassine.

Cherche en toute la terre une herbe, une racine
Qui puisse soulager son mal et notre ennui.
Vois ce charmant objet, ne songe plus qu’à lui,
Et sauve en le sauvant une beauté divine.

Pour faire relever tes autels abattus,
Assemble des métaux les secrètes vertus
Et prolonge le cours d’une si belle vie.

Néglige l’univers, et la viens secourir.
Fais rire tout le monde, et fais pleurer l’envie ;
Et fais-la vivre enfin pour nous faire mourir.


Pour une dame qui était parmi des rochers

Philis, de ces rochers vous augmentez le nombre
Autant par vos froideurs comme par votre orgueil.
Ils se couvrent de flots comme vous de leur ombre,
Et vous êtes comme eux un dangereux écueil.

Ils deviennent fameux par de tristes naufrages ;
Par de tristes débris l’univers vous connoît.
Ils ébranlent souvent les plus fermes courages ;
Le plus ferme souvent tremble quand il vous voit.

Ils résistent aux flots, vous résistez aux larmes ;
Tout cède à ces écueils, et tout cède à vos charmes.
Ils troublent la raison des plus hardis nochers,

Des plus sages amants vous troublez la prudence ;
Et bref, pour dire tout de cette ressemblance,
Vous êtes un rocher comme ils sont des rochers.


Pour une dame qui pleurait à force de rire

Quel mélange confus est sur votre visage ?
Philis, expliquez-nous ces divers mouvements,
Si ces ris et ces pleurs et ces prompts changements
Nous sont de bon augure ou de mauvais présage.

L’on voit en même temps et le calme et l’orage,
Les astres adoucis, les astres incléments ;
Et plus je veux sonder ces douteux sentiments,
Et moins de ma raison je retrouve l’usage.

Inhumaine Philis, qu’est-ce donc que je voi ?
Pleurez-vous de mon mal ? vous moquez-vous de moi ?
De grâce, expliquez-vous au désir qui me presse :

Ce caprice nouveau confond mon jugement.
Hélas ! qui vit jamais un tel dérèglement ?
Philis pleure de joie et rit de ma tristesse ?


Pour une dame qui écrivait

Conduis sa main, Amour, ainsi que sa pensée,
S’il est vrai que Philis réponde à mes écrits.
Ne lui suggère pas ces termes de mépris
Qu’inspire la fureur dans une âme offensée.

La mienne (tu le sais) était une insensée.
La rage me guidait au chemin que je pris ;
Et depuis mon erreur j’ai plus jeté de cris
Que ne pousse de flots une mer courroucée.

Unique et cher objet de ma ferme amitié,
Jetez sur ma douleur un regard de pitié,
Et de cette douleur remarquez l’amertume.

Mais sans plus balancer mon bon ou mauvais sort,
Avant que votre main abandonne la plume,
Philis, signez ma grâce, ou l’arrêt de ma mort.


Pour une dame qui filait

Plus charmante qu’Omphale et plus que Déjanire,
Philis en se jouant pirouette un fuseau,
Mais un fuseau d’ébène aussi riche que beau,
Mais d’un air si galant qu’on ne le saurait dire.

Il tourne, il se grossit de ce lin qu’elle tire ;
Il descend, il remonte, et descend de nouveau ;
Et de ses doigts d’albâtre elle trempe dans l’eau
Cet invisible fil que Pallas même admire.

L’objet impérieux qui me donne des lois
Égale la quenouille aux sceptres des grands rois,
Et son noble travail est digne d’un monarque.

Aussi, depuis le temps qu’elle file toujours,
C’est de la belle main de cette belle Parque
Que dépend mon destin et le fil de mes jours.