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Évariste de PARNY, Les Déguisements de Vénus
Le Portefeuille volé - Tableaux imités du Grec, 1805


TABLEAU I

Aux bergers la naissante aurore
Annonçait l'heure des travaux ;
Mais Myrtis sommeillait encore ;
Un songe agitait son repos.
Il se croit aux champs de Cythère.
Vénus, en habit de bergère,
À ses yeux apparaît soudain :
Elle balance dans sa main
De myrte une branche légère.
Surpris, il fléchit les genoux,
Et contemple cette immortelle,
Que Pâris jugea la plus belle,
Et dont les bienfaits sont si doux.
Longtemps il l'admire, et sa bouche
Pour l'implorer en vain s'ouvrait ;
Du myrte heureux Vénus le touche,
Sourit ensuite, et disparaît.


TABLEAU II

Myrtis dans la forêt obscure
Cherchait le frais et le repos.
Zéphire lui porte ces mots
Que chante une voix douce et pure :
"Dans ma main je tiens une fleur.
Fleur aussi, je suis moins éclose.
Dieu des filles et du bonheur,
Je t'offre quinze ans et la rose."
"Mon sein se gonfle, et quelquefois
Je rêve et soupire sans cause.
Jeune Myrtis, c'est dans ce bois
Qu'on trouve quinze ans et la rose."
"J'affaisse à peine le gazon
Où seule encore je repose :
Si tu viens, rapide Aquilon,
Ménage quinze ans et la rose."
Il paraît ; elle fuit soudain.
Légère et longtemps poursuivie,
Le berger l'implorait en vain.
Mais à la fleur elle confie
Le premier baiser de l'amour ;
Puis sa main à Myrtis la jette ;
Il la reçoit ; faible et muette,
L'autre fleur se donne à son tour.
Ménage quinze ans et la rose,
Calme-toi, fougueux Aquilon.
Un cri s'échappe, et le gazon...
Viens, doux Zéphire, elle est éclose.


TABLEAU III

"Dryades, pourquoi fuyez-vous ?
Des bois protectrices fidèles,
Soyez sans crainte et sans courroux.
À mes regards vous êtes belles ;
Mais un moment tournez les yeux :
Je n'ai du Satyre odieux
Ni les traits ni l'audace impie.
Arrêtez donc, troupe chérie,
Au nom du plus puissant des Dieux."
De Myrtis la prière est vaine.
D'un pas rapide vers la plaine
Les Dryades fuyaient toujours.
Une seule un moment s'arrête,
Fuit encore, en tournant la tête,
Et du bois cherche les détours.
Seize printemps forment son âge.
Un simple feston de feuillage
Couronne et retient ses cheveux.
Des Eurus le souffle amoureux
Soulève et rejette en arrière
Sa tunique verte et légère ;
Et déjà Myrtis est heureux.
Il atteint la Nymphe timide
Sur le bord d'un torrent rapide,
Au milieu des rochers déserts,
De mousse et d'écume couverts.
Un espace étroit se présente :
L'un contre l'autre ils sont pressés ;
Et bientôt l'onde mugissante
Mouille leurs pieds entrelacés.


TABLEAU IV

Dans sa cabane solitaire
Myrtis attendait le sommeil.
Arrive une jeune étrangère.
Le teint de Flore est moins vermeil.
Du voile éclatant des princesses
Sa beauté s'embellit encor ;
Sur sa tête le réseau d'or
De ses cheveux fixe les tresses ;
L'or entoure son cou de lis,
Et serre ses bras arrondis ;
La pourpre forme sa ceinture ;
Et sur le cothurne brillant,
De ses pieds utile parure,
Sa tunique à longs plis descend.
Myrtis en silence l'admire.
"Je fuis un tyran détesté,
Lui dit-elle avec un sourire ;
Donne-moi l'hospitalité.
— Embellissez mon toit modeste.
Des joncs tressés forment mon lit ;
Il est pour vous. — Où vas-tu ? Reste ;
Du lit la moitié me suffit."
Sur cet humble et nouveau théâtre
Elle s'assied ; un long soupir
De son sein soulève l'albâtre :
C'était le signal du plaisir.
Sur la cabane hospitalière
Passe en vain le dieu du repos :
Myrtis et la belle étrangère
Échappent à ses lourds pavots.
Leur impatiente jeunesse
Jouit et désire sans cesse.
Ivres de baisers et d'amour,
D'amour ils soupirent encore ;
Et pourtant la riante Aurore
Entrouvrait les portes du jour.


TABLEAU V

"Nymphe de ce riant bocage,
Vénus même sous votre ombrage
Sans doute dirigea mes pas.
Elle a ralenti votre fuite ;
Elle accéléra ma poursuite,
Et vous fit tomber dans mes bras.
Des mortels souvent les déesses
Reçurent les tendres caresses :
Imitez et craignez Vénus ;
Elle punirait vos refus."
Malgré cette voix suppliante,
Et malgré ses désirs secrets,
La Nymphe défend ses attraits,
Et toujours sa bouche riante
Échappe aux baisers indiscrets.
À quelques pas, dans la prairie
Un fleuve promenait ses flots.
Le front couronné de roseaux,
Des Naïades la plus jolie
Se jouait au milieu des eaux.
Tantôt sous le cristal humide
Elle descend, remonte encor,
Et présente au regard avide
De son sein le jeune trésor ;
Tantôt glissant avec souplesse,
Elle étend ses bras arrondis,
Et sur l'onde qui la caresse
Élève deux globes de lis.
Bientôt mollement renversée,
Par le flot elle est balancée ;
Son pied frappe l'eau qui jaillit.
Invisible dans le bocage,
Myrtis, écartant le feuillage,
Voit tout, et de plaisir sourit.
Alors la champêtre déesse,
Que dans ses bras toujours il presse,
Rapproche les rameaux touffus,
D'un voile en rougissant se couvre,
Et sur sa bouche qui s'entrouvre
Expire le dernier refus.


TABLEAU VI

Sous des ombrages solitaires,
Devant un Satyre effronté
Fuyait avec rapidité
La plus timide des bergères.
Au loin elle aperçoit Myrtis :
"À mon secours le ciel t'envoie,
Jeune inconnu ; défends Naïs."
Le Satyre lâche sa proie.
La bergère à son protecteur
Sourit, mais conserve sa peur.
"Bannis tes injustes alarmes,
Dit-il ; je respecte tes charmes.
Viens donc : du village voisin
Je vais t'indiquer le chemin."
Elle rougit, et moins timide,
À pas lents elle suit son guide.
Mais elle entend un bruit lointain :
Du berger elle prend la main,
Et dans ses bras cherche un asile.
Discret, il demeure immobile,
Et n'ose presser ses appas.
Elle voyait son doux martyre.
Le bruit cesse ; Myrtis soupire,
Et Naïs reste dans ses bras.


TABLEAU VII

Phébus achevait sa carrière ;
Dans les cieux l'ombre s'étendait ;
Myrtis à pas lents descendait
De la montagne solitaire.
Une femme sur son chemin
Se place, et doucement l'arrête.
Au croissant que porte sa tête,
À sa taille, à son port divin,
Il a reconnu l'Immortelle.
"Cher Endymion, viens, dit-elle.
Un moment pour toi j'ai quitté
Le ciel et mon trône argenté :
Viens, sois heureux et sois fidèle."
Le berger suit ses pas discrets.
De cette méprise apparente
Il profite, et la nuit naissante
Protège ses baisers muets.
Il trouve dans la jouissance
L'abandon et la résistance,
L'embarras de la nudité,
Les murmures de la tendresse,
Les refus et la douce ivresse,
La pudeur et la volupté.


TABLEAU VIII

"Berger, j'appartiens à Diane :
Pourquoi toujours suis-tu mes pas ?
Je hais Vénus : fuis donc, profane ;
Crains cette flèche et le trépas."
Elle dit, et sa main cruelle
Sur l'arc pose le trait léger :
Mais Myrtis, qui la voit si belle,
Sourit, et brave le danger.
Un fossé profond les sépare ;
Avec audace il est franchi.
Imprudent ! d'un regret suivi,
Le trait vole, siffle et s'égare.
La Nymphe de nouveau s'enfuit.
Le berger toujours la poursuit.
Dans une grotte solitaire,
De Diane asile ordinaire,
Elle entre ; et sa main aussitôt
Saisit et lève un javelot.
Sa fierté, sa grâce pudique,
Irritent le désir naissant.
D'un côté, sa blanche tunique
Tombe, et sur le genou descend ;
De l'autre, une agathe polie
La relève, livrant aux yeux
Les lis d'une cuisse arrondie,
Et des contours plus précieux.
De son sein qui s'enfle et palpite,
Et dont ce combat précipite
Le voluptueux mouvement,
Un globe est nu : le jeune amant
S'arrête, et des yeux il dévore
Malgré le javelot fatal,
L'albâtre pur et virginal
Qu'au sommet la rose colore.
Il saisit la Nymphe ; et sa voix
Pour l'implorer devient plus tendre.
Des cris alors se font entendre ;
Le cor résonne dans les bois.
"Malheureux ! laisse-moi, dit-elle.
Diane est jalouse et cruelle :
Si je l'invoque, tu péris".
Malgré sa nouvelle menace,
Le berger fortement l'embrasse :
Des baisers préviennent ses cris.
Diane approche, arrive, passe,
Au loin elle conduit la chasse,
Et laisse la Nymphe à Myrtis.


TABLEAU IX

D'Érigone c'était la fête.
Des Bacchantes sur les coteaux
Couraient sans ordre et sans repos.
La plus jeune pourtant s'arrête,
Nomme Myrtis, et fuit soudain
Sous l'ombrage du bois voisin.
Le lierre couronne sa tête ;
Ses cheveux flottent au hasard ;
Le voile qui la couvre à peine,
Et que des vents enfle l'haleine,
Sur son corps est jeté sans art ;
Le pampre forme sa ceinture,
Et de ses bras fait la parure ;
Sa main tient un thyrse léger.
Sa bouche riante et vermeille
Présente à celle du berger
Le fruit coloré de la treille.
Son abandon, sa nudité,
Ses yeux lascifs, et son sourire,
Promettent l'amoureux délire
Et l'excès de la volupté.
Au loin, ses bruyantes compagnes
De cymbales et de clairons
Fatiguent l'écho des montagnes,
Mêlant à leurs libres chansons
La danse qui peint avec grâce
L'embarras naissant du désir,
Et celle ensuite qui retrace
Tous les mouvemens du plaisir.


TABLEAU X

"Jeune berger, respecte Égine.
La terre me donna le jour ;
Jadis je suivais Proserpine ;
Et de Cérès j'orne la cour."
En disant ces mots, dans la plaine
Elle fuyait devant Myrtis,
Et déjà du berger l'haleine
Vient humecter son cou de lis.
Elle échappe à sa main ardente.
Plus rapide il vole, et deux fois
Saisit la tunique flottante,
Qui se déchire entre ses doigts.
"Préviens son triomphe, ô ma mère !"
Elle dit : aussitôt la terre
S'entrouvre avec un bruit affreux,
Vomit le bitume et la pierre
Et présente un gouffre de feux.
Myrtis épouvanté s'arrête.
La Nymphe retourne la tête,
Et de loin lui tendant la main,
L'appelle avec un ris malin.
Le berger un moment balance ;
Vénus le rassure en secret ;
Égine, qu'il poursuit, s'élance,
Et dans les flammes disparaît.
Il s'y jette ; imprudence heureuse !
Sur un lit de mousse et de fleurs
Il tombe, et la Nymphe amoureuse
Sourit entre ses bras vainqueurs.


TABLEAU XI

Le ciel est pur, mais sans lumière ;
L'ombre enveloppe l'hémisphère.
Myrtis, égaré dans les bois,
Trouble en vain leur vaste silence ;
L'écho seul répond à sa voix.
Du rendez-vous l'heure s'avance ;
Adieu l'amoureuse espérance,
Adieu tous les baisers promis.
"Des nuits malfaisante Déesse,
Disait-il, je hais ta tristesse ;
Je hais tes voiles ennemis".
Il parle encore, et l'Immortelle,
Comme Vénus riante et belle,
Se présente à ses yeux surpris.
Recouverts de crêpes humides,
Son char et ses coursiers rapides
De l'ébène offrent la couleur.
À l'entour voltigent les songes,
Les spectres et les vains mensonges
Fils du sommeil et de l'erreur.
De son trône elle est descendue.
Le berger se trouble à sa vue,
Et la crainte saisit son cœur ;
Mais la Déesse avec douceur :
"Jeune imprudent, je te pardonne.
Je ferai plus ; oui, mon secours
Est souvent utile aux amours.
Que veux-tu ? parle, je l'ordonne."
Myrtis, que charme sa beauté,
Garde le silence, et l'admire.
L'Immortelle par un sourire
Enhardit sa timidité.
Elle a déposé sur la terre
Le pâle flambeau qui l'éclaire.
À ses cheveux bruns et tressés
Des pavots sont entrelacés ;
Une légère draperie,
Noire et d'étoiles enrichie,
Trahit l'albâtre de son corps,
Et de l'amour les doux trésors.
Sur l'herbe s'assied la déesse ;
Le berger s'y place à son tour.
Il voit et baise avec ivresse
Des charmes inconnus au jour.
Un feu renaissant le dévore.
"Encore, disait-il, encore.
Que nos plaisirs soient éternels !"
Elle sourit, et de l'aurore
Le retard surprit les mortels.


TABLEAU XII

Myrtis sur le fleuve rapide
Voit un esquif abandonné,
Qui, par le courant entraîné,
Vogue sans rames et sans guide.
Au milieu des flots le berger
S'élance, et dans l'esquif léger
Il trouve une fille jolie,
Sur un lit de joncs endormie.
Elle sourit dans son sommeil ;
Et sa bouche alors demi-close
Montre l'ivoire sous la rose.
Un baiser produit son réveil ;
Un baiser étouffe ses plaintes ;
Un baiser adoucit ses craintes ;
Un autre cause un long soupir ;
Un autre allume le désir ;
Un autre achève le plaisir,
Et lentement la fait mourir.
Elle renaît soumise et tendre,
Ne voile point ses charmes nus,
Et sans peine consent à rendre
Tous les baisers qu'elle a reçus.
Soudain les flots sont plus tranquilles ;
Et le bateau légèrement
Glisse sur les vagues dociles
Qui le balancent mollement.


TABLEAU XIII

Caché dans une grotte humide,
Où vient mourir le flot amer,
Myrtis, l'œil fixé sur la mer,
Épiait une Néréide.
Tout-à-coup se montre Téthys,
Et sous sa conque blanchissante,
Que traînent ses dauphins chéris,
S'affaisse l'onde obéissante.
À l'entour nagent les tritons ;
Leur barbe est d'écume imbibée ;
Des coquilles ornent leurs fronts ;
Et de leur trompe recourbée
Au loin retentissent les sons.
Près du char, les Océanides
Et les charmantes Néréides,
Variant leurs jeux et leurs chants,
Glissent sur les flots caressants.
Téthys vers la grotte s'avance,
Entre seule, voit le berger,
Rit de son trouble passager,
Et lui commande le silence.
La perle dans ses blonds cheveux
En guirlandes brille et serpente ;
La perle rend plus précieux
L'azur de sa robe élégante.
Le sable reçoit son manteau,
Et lui présente un lit nouveau.
Aimez, jeunes Océanides ;
Aimez, rapides Aquilons ;
Et vous, charmantes Néréides,
Tombez dans les bras des Tritons.



TABLEAU XIV

"Qu'ordonnez-vous, chaste déesse ?
— Rien : Vesta, trompant tous les yeux,
Pour toi seul a quitté les cieux.
Je t'aime. — Vous ! — De ma sagesse
Tu triomphes, heureux Myrtis !
J'ai des attraits ; mais, trop sévère,
J'effrayais les Jeux et les Ris :
Hélas ! j'aurais mieux fait de plaire !"
De ce triomphe inattendu
Myrtis jouit en espérance.
Vesta, sans voile et sans défense,
Oubliait sa longue vertu.
Au jeune berger qui l'embrasse,
Elle se livre gauchement ;
Ses baisers même sont sans grâce.
De son aigre sévérité,
Punition juste et cruelle !
Triste et honteuse, l'Immortelle
Remporte au ciel sa chasteté.



TABLEAU XV

Dans l'onde fraîche une bergère
Se baignait durant la chaleur.
Sur le rivage solitaire
Myrtis passe ; au cri de frayeur
Il répond avec un sourire :
"Ne craignez rien ; sous ces berceaux,
Sage et discret, je me retire.
Mais quand vous sortirez des eaux,
Je vous habillerai moi-même.
— Sois généreux, jeune Myrtis,
Et n'emporte pas mes habits.
Peut-être la Nymphe qui t'aime
Saura te..." Discours superflus !
Le berger ne l'entendait plus.
De l'onde elle sort, et tremblante
Elle arrive sous le bosquet.
Malgré sa prière touchante,
Myrtis poursuit son doux projet.
En plaçant la courte tunique
Sur ce corps de rose et de lis,
Il touche une gorge élastique
Et d'autres charmes arrondis.
Sa main rattache la ceinture,
Trop haut d'abord, et puis trop bas :
La bergère en riant murmure,
Et cependant ne l'instruit pas.
À son humide chevelure
On rend le feston de bluets
Qui toujours forme sa parure.
Les brodequins viennent après :
Longtemps incertaine et craintive,
Elle rougit, enfin s'assied,
À Myrtis présente son pied,
Et sa rougeur devient plus vive.
Dans ce moment heureux, Phébus
Était au haut de sa carrière ;
Le jour finit, et la bergère
Avait encore les pieds nus.



TABLEAU XVI

Du midi s'élance l'orage.
Dans son frêle bateau, Myrtis,
Jouet des vents et de Téthys,
Ne peut regagner le rivage.
"Apaise tes fougueux enfants,
Belle Orithye, et sur la rive
Pour toi je brûlerai l'encens."
Au ciel monte sa voix plaintive.
Soudain un nuage léger
Sur les flots mugissants s'abaisse :
Il s'entrouvre, et d'une déesse
Les bras enlèvent le berger.
Tremblant, il garde le silence ;
Un baiser dissipe sa peur.
Neptune jusqu'aux cieux s'élance ;
Les vents redoublent leur fureur ;
Myrtis caché dans le nuage
S'élève au milieu de l'orage,
Avec sécurité fend l'air,
Voit partir le rapide éclair
Que suit la foudre vengeresse,
Et sur le sein de sa maîtresse
Il brave Éole et Jupiter.



TABLEAU XVII

"De Myrtis que la voix est tendre !
Il approche, et n'a pu me voir ;
Sous cet arbre il viendra s'asseoir ;
Je veux me cacher et l'entendre."
La jeune bergère, à ces mots,
Sur l'arbre monte avec adresse,
Et disparaît dans les rameaux.
Le berger sous leur voûte épaisse
Bientôt arrive, et les échos
Répètent ses accents nouveaux :
"Un oiseau venu de Cythère
Se cache, dit-on, dans ce bois.
Sa voix est touchante et légère,
Et son bec embellit sa voix."
"Les chasseurs sont à sa poursuite.
Mille fois heureux son vainqueur !
Mais il craint la cage, et l'évite ;
Et c'est lui qui prend l'oiseleur."
"Jeune oiseau, ton joli plumage
Fait naître l'amoureux désir ;
Et pour moi, dans l'épais feuillage,
Tu seras l'oiseau du plaisir."
Il dit, et sur l'arbre s'élance :
La bergère ne pouvait fuir,
Et le rire était sa défense :
Au vainqueur il faut obéir.
Quelques Nymphes de ce bocage
Du même arbre cherchent l'ombrage ;
Mais le bruit des baisers nouveaux
Se perd dans le confus ramage
Des fauvettes et des moineaux.



TABLEAU XVIII

"Ma fidélité conjugale
Trop longtemps regretta Tithon ;
Trop longtemps j'ai pleuré Céphale,
Égis et le jeune Orion.
La douleur flétrirait mes charmes.
Revenez, amoureux désirs !
Les roses naissent de mes larmes ;
Elles naîtront de mes plaisirs."
À ces mots, la galante Aurore
De Myrtis qui sommeille encore,
Hâte le paresseux réveil.
Elle a quitté son char vermeil.
Sur sa tête brille une étoile.
Un safran pur et précieux
Colora sa robe et son voile.
L'amour est peint dans ses beaux yeux.
L'humble lit du berger timide
La reçoit ; ô douces faveurs !
Sous elle le feuillage aride
Renaît, et la couvre de fleurs.



TABLEAU XIX

L'amour ne connaît point la crainte.
Du bois Myrtis franchit l'enceinte ;
Il s'y cache, et voit s'approcher
Celle qu'il ose ainsi chercher.
Ses traits sont purs ; la violette
S'entrelace â la bandelette
Qui couronne son front serein.
Sur sa longue robe de lin
Descend une courte tunique ;
Son regard est doux et pudique.
Myrtis paraît, elle rougit ;
Il prévient sa fuite, et lui dit :
"De Minerve jeune prêtresse,
Mes yeux te suivaient à l'autel.
J'ai vu tes mains à la Déesse
Offrir un encens solennel...
— Fuis. — Ne sois pas inexorable.
— Fuis donc ! — Avec toi je fuirai.
— Des fers attendent le coupable
Qui profane ce bois sacré.
— Ta bouche menace et soupire.
— Imprudent ! je plains ton délire :
Crains le trépas, retire-toi.
— Non. — Minerve, protège-moi."
Mot fatal ! Son âme alarmée
Le rétracte, mais vainement ;
Entre les bras de son amant
Elle est en myrte transformée.
Il recule, saisi d'horreur ;
Il doute encor de son malheur ;
D'une voix éteinte il appelle
La jeune vierge ; avec frayeur
Il touche l'écorce nouvelle ;
Ses pleurs coulent, et sa douleur
Maudit la Déesse inflexible.
Dans le bois il entend du bruit ;
Il embrasse l'arbre insensible,
S'éloigne, revient, et s'enfuit.



TABLEAU XX

De la jeune et belle prêtresse
L'image poursuivait Myrtis.
II fuit les autels de Cypris,
Il fuit la brillante jeunesse,
Et chaque jour aigrit son mal.
Un soir enfin, du bois fatal
Il franchit de nouveau l'enceinte.
Il baise les rameaux chéris ;
Au ciel il adresse sa plainte :
Le ciel paraît sourd à ses cris.
Éole entasse les nuages ;
De leurs flancs sortent les orages ;
Les éclairs suivent les éclairs ;
La foudre sillonne les airs.
Le berger brave la tempête,
Et les feux roulants sur sa tête.
Le myrte arrosé de ses pleurs
Par un faible et naissant murmure
Semble répondre à ses douleurs.
Prodige heureux ! L'écorce dure
Se soulève, et prend sous sa main
L'albâtre et les contours du sein.
Une bouche naît sous la sienne,
Et soudain une fraîche haleine
Se mêle à ses soupirs brûlants.
Les rameaux qu'en ses bras il presse,
Transformés en bras ronds et blancs,
Lui rendent sa douce caresse.
Plus de combats, plus de refus ;
Et de Minerve la prêtresse
Est déjà celle de Vénus.



TABLEAU XXI

Des Dieux la prompte messagère
Part, vole, se montre à Myrtis,
Et dit : "La reine de Cythère
Parut la plus belle à Pâris :
L'heureuse pomme fut pour elle ;
Mais entre Junon et Pallas
Toujours subsiste la querelle,
Et c'est toi qui les jugeras."
En parlant ainsi, la Déesse
Est debout sur son arc brillant.
Myrtis contemple sa jeunesse,
Ses yeux d'azur, son front riant,
L'or de sa baguette divine,
Les perles de ses bracelets,
Et l'écharpe flottante et fine
Qui voile à demi ses attraits.
"Pourquoi gardes-tu le silence ?
Reprend-elle : réponds, Myrtis ;
Le refus serait une offense.
— Disputez-vous aussi le prix ?
— Je le pourrais ; j'ai quelques charmes.
— Voyons. — Promets-tu le secret ?
— Oui. — Je crains... — Soyez sans alarmes.
— Eh bien, juge ; mais sois discret.
— Ce voile à vos pieds doit descendre.
Ce n'est pas tout ; la volupté
Embellit encor la beauté,
Et le prix est pour la plus tendre."
L'Immortelle baisse les yeux,
Repousse la main qui la touche,
Aux baisers dérobe sa bouche,
Et tombe sur l'arc radieux.



TABLEAU XXII

Assise sur un faisceau d'armes
Recouvert d'un léger tapis,
Aux regards de l'heureux Myrtis
Pallas abandonne ses charmes.
Le berger hésite, et pourtant
Écarte d'une main timide
Son casque à panache flottant,
Sa lance d'or et son égide.
La cuirasse tombe à son tour,
Et même la blanche tunique.
De Pallas la beauté pudique
Vainement éveille l'Amour ;
Jamais il n'obtient de retour.
Le berger étonné l'admire,
Mais affecte un calme trompeur.
La Déesse voit sa froideur,
Prend sa main, doucement l'attire,
Le reçoit dans ses bras, soupire,
Et prudente elle répétait :
"On me croit sage ; sois discret."



TABLEAU XXIII

Viens, jeune et charmante Théone.
— Non ; Junon peut-être t'attend :
Jamais son orgueil ne pardonne.
— Qu'importe ? — Fuis. — Un seul instant !
— Demain je tiendrai mes promesses.
— Je brûle des feux du désir ;
Tiens ; la beauté fait les déesses.
— Et qui fait les dieux ? — Le plaisir.



TABLEAU XXIV

Myrtis devant Junon s'incline.
Un diadème radieux,
De pourpre un manteau précieux,
Un sceptre dans sa main divine,
Annoncent la reine des cieux.
Au juge que sa voix rassure
Elle abandonne sa ceinture
Et ses superbes vêtemens :
Sans voiles et sans ornements,
La nudité fait sa parure.
Alors sur des coussins épais
Que l'or et la perle enrichissent,
Et qui légèrement fléchissent,
Le berger place ses attraits.
Ses regards troublent la déesse.
Elle soupçonne de Pallas
La ruse et la douce faiblesse :
À Myrtis elle ouvre ses bras,
Sourit de sa vive caresse,
Et prudente elle répétait :
"On me droit sage ; sois discret."



TABLEAU XXV

Du haut des airs qu'elle colore,
La jeune Iris descend encore.
Myrtis la reçoit dans ses bras.
Elle se livre à ses caresses,
Et pourtant elle dit tout bas :
"Si je tarde, les deux déesses
Pourront croire... Séparons-nous."
Suivent des baisers longs et doux.
"Je ne puis prononcer entre elles,
Dit enfin le berger. — Pourquoi ?
— Également elles sont belles ;
Et la plus aimable, c'est toi."



TABLEAU XXVI

Rêveuse et doucement émue,
Elle arrive dans le bosquet
Où de Vénus est la statue,
À ses pieds dépose un bouquet,
Et dit : "Ô Cypris ! je t'implore ;
Protège-moi contre ton fils.
Pour lui je suis trop jeune encore.
Je ne veux point aimer Myrtis."
Quelques jours après, sa jeunesse
De l'amour craint moins les douceurs.
D'un feston de myrte et de fleurs
Elle couronne la déesse,
Disant : "Vois mon trouble secret ;
J'aime, apprends-moi comment on plaît."
Elle revient, et le sourire
Ouvre sa bouche qui soupire :
"Il m'aime, ô propice Vénus !
Seule à ses regards je suis belle ;
Mais je veux par quelques refus
Irriter sa flamme nouvelle."
Une guirlande sous sa main
Se déploie ; et de la statue,
Que le ciseau fit belle et nue,
Elle couvrait... Myrtis soudain
Du feuillage sort, et s'écrie :
"Ne couvre rien, ma jeune amie ;
Crains Vénus." Sans force et sans voix,
Elle rougit, chancelle, glisse ;
Et la guirlande protectrice
Reste inutile entre ses doigts.



TABLEAU XXVII

Le sombre Pluton sur la terre
Était monté furtivement.
De quelque Nymphe solitaire
Il méditait l'enlèvement.
De loin le suivait son épouse :
Son indifférence est jalouse.
Sa main encor cueillait la fleur
Qui jadis causa son malheur :
Il renaissait dans sa pensée.
Myrtis passe ; il voit ses attraits,
Et la couronne de cyprès
À ses cheveux entrelacée.
Il se prosterne ; d'une main
Elle fait un signe ; et soudain
Remonte sur son char d'ébène.
Près d'elle est assis le berger.
Les coursiers noirs d'un saut léger
Ont déjà traversé la plaine.
Ils volent ; des sentiers déserts
Les conduisent dans les enfers.
Du Styx ils franchissent les ondes :
Caron murmurait vainement ;
Et Cerbère sans aboiement
Ouvrait ses trois gueules profondes.
Le berger ne voit point Minos,
Du Destin l'urne redoutable,
D'Alecton le fouet implacable,
Ni l'affreux ciseau d'Atropos.
Avec prudence Proserpine
Le conduit dans un lieu secret,
Où Pluton, admis à regret,
Partage sa couche divine.
Myrtis baise ses blanches mains,
La presse d'une voix émue,
Et la déesse demi-nue
Se penche sur de noirs coussins.
Elle craint un époux barbare :
Le berger quitte le Tartare.
Par de longs sentiers ténébreux
Il remonte, et sa main profane
Ouvre la porte diaphane
D'où sortent les Songes heureux.



TABLEAU XXVIII

Morphée a touché sa paupière ;
Elle dort sous l'ombrage frais.
Des Zéphyrs l'aile familière
Dévoile ses charmes secrets.
Myrtis vient, ô douce surprise !
"Hier, au temple de Vénus,
Dit-il, j'ai fléchi ses refus :
Dérobons la faveur promise...
Non, je respecte son sommeil ;
J'aurai le baiser du réveil."
Il voit un bouquet auprès d'elle ;
Des roses il prend la plus belle ;
Avec adresse, avec lenteur,
Sa main la place sur l'ébène,
Et sa bouche baise la fleur.
Il s'éloigne alors, non sans peine,
Et se cache dans un buisson,
D'où sort un léger papillon.
L'insecte léger voit la rose,
Un moment sur elle se pose,
Puis s'envole, et fuit sans retour.
Myrtis dit tout bas : "C'est l'Amour."



TABLEAU XXIX

"Arrêtez, charmante déesse !
Votre main, au banquet des cieux,
Verse le nectar, et des dieux
Vous éternisez la jeunesse.
— Il est vrai ; dans ma coupe d'or
Tes lèvres trouveront encor
De ce breuvage quelque reste :
Bois donc. — J'ai bu. Quelle chaleur
Pénètre mes sens et mon cœur !
Restez, ô déesse ! — Je reste."
Il est heureux, et ses désirs
Demandent de nouveaux plaisirs.
En riant, la jeune Immortelle
S'échappe, fuit, et disparaît.
Le berger en vain la rappelle.
Seul il marche, de la forêt
Il suit les routes ténébreuses ;
Et là dans ses bras tour à tour
Tombent les maîtresses nombreuses
Qu'un moment lui donna l'amour.
Un moment, bergères, princesses,
Nymphes, bacchantes et déesses,
Reçoivent ses baisers nouveaux,
Puis s'échappent : point de repos ;
Du nectar la douce puissance
Soutient sa rapide inconstance.
Ses vœux n'appelaient point Vesta,
Et dans son temple elle resta.
Las enfin, sous le frais ombrage
Il s'assied, et sa faible voix
Implore une seconde fois
L'échansonne au divin breuvage.
Elle vient ; à Myrtis encor
Sa main offre la coupe d'or,
Et déjà les désirs renaissent.
De son bienfait Hébé jouit ;
Sous ses attraits les fleurs s'affaissent ;
Plus belle ensuite elle s'enfuit.
Le berger, dont la douce plainte
La poursuit jusque dans les cieux,
Sur le gazon voluptueux
De ses charmes baise l'empreinte,
Et le sommeil ferme ses yeux.



TABLEAU XXX

Il dort ; un baiser le réveille.
Ô surprise ! ô douce merveille !
D'Amours légers environné,
Un char par des cygnes traîné
Dans l'air l'emporte avec vitesse.
La crainte agite ses esprits ;
Mais la belle et tendre déesse
Le rassure par un souris.
Sur des coussins de pourpre fine,
Près de sa maîtresse divine
Il s'assied, d'amour éperdu.
Aussitôt un voile étendu
Forme pour eux un dais utile.
Myrtis, de surprise immobile,
Dans Vénus revoit les appas
Des déesses et des mortelles
Que ses yeux trouvèrent si belles
Et qui tombèrent dans ses bras.
Elle répond à son silence :
"Je t'aimai longtemps en secret.
Tout est facile à ma puissance ;
Et Vénus de ton inconstance
Fut toujours la cause et l'objet."
À ces mots, au berger timide
Ses bras d'albâtre sont tendus ;
Par degrés à sa bouche avide
Elle livre ses charmes nus,
Sous les baisers devient plus belle,
Enfin permet tout à Myrtis,
Et lui dit : "Sois aussi fidèle
Et moins malheureux qu'Adonis."
Consumé d'amour et d'ivresse,
Sur les lèvres de sa maîtresse
Myrtis boit le nectar divin ;
Il meurt et renaît sur son sein ;
Et cependant le char rapide,
Glissant avec légèreté
Dans l'air doucement agité,
Descend vers les bosquets de Gnide.