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Jean LORRAIN, La Princesse Audovère
Le Sang des dieux, 1882


Dans le calme des bois, auprès du cloître austère,
Où dorment des rois francs les tombeaux vénérés,
Voici venir, pensive et les cheveux dorés,
La princesse Audovère.



Plus blanche qu’une perle au fond des bois sacrés,
Elle passe à pas lents ; sa lèvre un peu sévère
Garde le fier secret des rêves ignorés,
Audovère est sans mère.



Blanche dans les plis blancs de sa robe de laine,
Dont l’ourlet est brodé de larges trèfles d’ors,
Audovère sourit dans l’ombre des grands chênes ;
Et les vieux arbres morts,
Dont les rameaux séchés trempent dans les fontaines,
Reverdissent dans l’herbe et les menthes du bord,
Quand vient à les frôler dans sa blancheur hautaine
L’ample robe de laine,
Dont l’ourlet est brodé de larges trèfles d’ors.



Au fond du cloître obscur, dans le bois séculaire,
Calme et le cœur empli d’un retour annoncé,
Elle attend, comme une autre attend un fiancé,
Un roi sexagénaire.



Entre les hauts talus fleuris de primevère
Elle va, souriante et les yeux enivrés,
Rêvant de la bataille et des rois massacrés
Dont triomphe son père.



Elle cueille en passant les rouges digitales
De pourpre et les lys blancs, dont le pistil est d’ors !
Un sourire cruel ouvre ses lèvres pâles.
Elle songe aux rois morts :
« L’éclat neigeux des lys est moins blanc que leur corps,
« Leur sang est plus vermeil que vos rouges pétales,
« Fleurs de pourpre, » dit-elle, et ses lèvres royales
Baisent les digitales,
Tandis que ses doigts blancs effeuillent les lys d’ors.



Car les champs de bataille et les rouges clairières,
Où râlent, soulevés sur deux poings empourprés,
Les princes expirant sous leurs chevaux cabrés,
Plaisent aux vierges fières.



Les vierges pour le sang n’ont pas l’horreur des mères,
Frissonnantes toujours pour un fils adoré ;
Leur cœur n’a pas souffert, leurs yeux n’ont pas pleuré
Aux vierges solitaires.



Blanche dans les plis blancs de sa robe de laine,
Dont l’ourlet est brodé de larges trèfles d’ors,
Audovère sourit dans l’ombre des grands chênes ;
Et les beaux princes morts,
Dont les fauves cheveux trempent dans les fontaines,
Saignent dans la grande herbe et les menthes du bord,
Quand passe au fond des bois dans sa robe qui traîne
La blonde et jeune reine,
Dont l’ourlet est brodé de larges trèfles d’ors.



Dans le calme des bois, auprès du cloître austère,
Où dorment des rois francs les tombeaux vénérés,
Elle dort, elle aussi, dans ses cheveux dorés,
La princesse Audovère.



Plus blanche qu’une perle au fond du bois sacré,
Elle dort à jamais ; sa lèvre un peu sévère
A gardé le secret de son rêve ignoré,
Cruel et solitaire.