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Louise COLET, La Femme
Ce qui est dans le cœur des femmes, 1852


Vous n'êtes pas dignes des femmes. Nous portons l'enfant dans notre sein !  nous y portons aussi la foi !  Mais vous, hommes, avec votre force et vos désirs, vous secouez l'amour même dans vos embrassements.
GOETHE


I

Nous sommes un débris de l'antique esclavage.
L'homme a toujours gardé sur nous le droit d'outrage ;
Du joug qu'il nous impose il se fait l'insulteur,
Comme il traitait l'esclave avant le Rédempteur.

Les heureux vont disant : « Le vice a son écume ;
« Mais il est des vertus que le bonheur parfume.
« Souriantes, voyez nos filles et nos sœurs ;
« Leur vie a dans l'hymen d'ineffables douceurs,
« Et le rêve d'amour que caressa leur âme,
« Préconçu par la vierge, est éclos pour la femme. »
Oh !  que vous savez bien qu'il n'en est pas ainsi !
Que, toutes, nous portons au front l'ardent souci
D'une aspiration qui dans nos cœurs fermente,
Mais que ne satisfait l'épouse ni l'amante !
Au giron d'une mère, enfants, nous nous formons,
Pures comme la neige à la cime des monts :
Candeur qui se dérobe et beauté qui s'ignore,
Âme où tout resplendit, corps que rien ne déflore,
Être fait pour l'amour qui l'appelle et l'attend,
Vrai comme les désirs de son sein palpitant !  –
De l'air, du feu, du ciel, voix, effluve, murmure,
Pourquoi nous trompez-vous, ô jeunesse, ô nature ?
Ah !  ce qui nous déçoit, ce n'est pas vous, c'est lui,
C'est l'homme ! ... Un idéal dans nos rêves a lui,
Un époux chaste et beau, complément de nous-même ;
Comme une Ève promise il nous cherche, il nous aime ;
Il vient ! ... Ravissements d'égales voluptés,
Par deux cœurs confondus vous serez donc goûtés ! ...

Non !  Un seul est ému, l'autre ne peut plus l'être ;
Il connut la débauche avant de nous connaître,
Elle l'a pris enfant et ne l'a pas quitté ;
Son cœur n'a plus d'amour, son corps plus de beauté,
Nous rencontrons la mort où nous portons la vie,
Et notre âme de vierge est veuve, inassouvie ;
Le néant est offert, femme, à ta passion,
Lorsque tout crie amour dans la création,
Lorsque les voix du ciel et les voix de la terre
Promettaient un flot pur à la soif qui t'altère.

Mais la nature est mère, et Dieu n'a pas menti :
Il existe, l'amour que la vierge a senti !
Cherche !  dit le désir ; Aime !  dit l'espérance ;
Erre de deuil en deuil, de souffrance en souffrance ;
Marche !  suis le rayon, ne désespère pas,
Et l'ineffable époux frémira dans tes bras !

Assieds-toi pour mourir, ô pauvre condamnée !
Ils ont tous traversé la source empoisonnée :
Tous en sortent flétris, et tous seront pour toi
L'affront de ton désir, la rougeur de ta foi.

Quelques-uns, altérés de voluptés complètes,
Les cherchent en rêveurs, les chantent en poètes :
Mais l'idéal trompé, qui souffre et pleure en nous,
Ne les détourne pas des souillures de tous.
Si leur honte était vraie et leurs larmes sincères,
Martyrs expiateurs de nos longues misères,
Au vice ils jetteraient d'héroïques défis,
Et régénèreraient les âmes de leurs fils !

Ô génération enceinte ou moribonde,
Seras-tu mère enfin ou toujours inféconde ?
Sur les autels tombés des dieux morts sans retour,
N'enfanteras-tu pas le culte de l'amour ?
Fluide universel et magnétique chaîne
Dont l'étreinte unira toute la race humaine,
Dont le premier chaînon, qui les aimante tous,
Sera formé par toi, saint amour des époux !
Splendeur des voluptés de la chair et des âmes,
Succédant au chaos d'accouplements infâmes,
Qui, dans leur flétrissure, ont éternellement
Engendré la laideur et l'abrutissement !

Peintres, sculpteurs, amants de la forme divine,
La débauche a détruit votre type en ruine !
Philosophes, penseurs, épris du beau moral,
L'absence de l'amour a tué l'idéal !


II

Toi, du bonheur de tous gardienne sympathique,
Nouveau pacte du globe, intègre République,
Choisis pour fondement le vrai, le bien, le beau ;
Sois digne de coucher le vieux monde au tombeau.
Que l'homme s'ennoblisse en relevant la femme !
Plus de ces jougs honteux qui font dévier l'âme !
Rends-nous à la nature après un long détour,
Fais d'un marché légal une honte à l'amour,
Mais qu'un sincère hymen qui naît des harmonies
Soit le titre d'honneur de deux âmes unies ;
La macération et ses chastes semblants
Laissent les cœurs impurs en les faisant tremblants.
Il est temps, soyons vrais dans nos lois, dans nos temples,
Surtout dans nos amours, ces éternels exemples
Que transmet la famille aux générations,
Par le courant du sang, fleuve des passions !

1851.