• La Fontaine ou la naissance d'une vocation

"Jeannot, cesse un peu d'estropier ces pauvres fourmis ! Jeannot, arrête enfin de poignarder ces malheureuses cigales ! Ce renard ne t'a rien fait ! Pourquoi lui jeter des cailloux ? Ce corbeau chante faux ? Est-ce que ça t'empêche de vivre ? Allons, allons, sois sage, ou bien je dirai tout à ton père qui te fouettera sévèrement !"

Ainsi soir et matin se lamentait Mme de La Fontaine, proprement la maman du bon Jean dont les Fables, plus tard, instruiraient les petits enfants.

— Que voulez-vous, maman, plaidait-il sans vergogne, est-ce ma faute à moi si je ne tiens pas en place ? Qui m'a conçu ? Qui m'a mis bas ? Je suis chose légère et tout m'intéresse, moi, dans le règne animal. Quand j'aurai pris de l'âge, j'élèverai des chevaux, ou bien des coqs de village, ou bien des dauphins. C'est beau, les dauphins. Vous ne trouvez pas ? Qui plus est, ça trotte, ça trotte, il faut voir comme !

— Tu veux dire les lapins. C'est sans pattes, les dauphins.

— Et voilà qu'une fois de plus, maman, vous contrariez mes certitudes naturelles. Quand aurez-vous fini de me désapprendre à vivre ? Jusques à quand devrai-je endurer vos poignantes leçons ? Savez-vous ce qui adviendra quelque jour ? Ma fée marraine me changera en lion et je vous dévorerai de la pire façon. Après quoi je me ferai matador et j'assassinerai des taureaux pour leur épargner les supplices qu'on doit à l'engeance maternelle. Je le sens là, dans le fond de mes entrailles.

— Qu'est-ce que tu sens ? Es-tu seulement capable de t'expliquer un peu ?

— Je le sens, je le sens, vous dis-je, j'en ai la vocation certaine.