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Anna de NOAILLES, Paroles à la lune

Le Cœur innombrable, 1901



La lune, dites-nous si c'est votre plaisir
— Ô lune cajoleuse —
Que les hommes se plient au gré de vos désirs
Comme la mer houleuse.

Est-ce votre vouloir que ceux qui tout le jour
Furent doux et tranquilles
Succombent dans le soir au péché de l'amour
Par les champs et les villes ?

— Les baisers montent-ils vers vous comme de l'eau
Qui se volatilise,
Pour faire à votre front vaniteux ce halo
Dont sa pâleur s'irise ?

Est-ce pour vous séduire ou vous désennuyer,
Quand vous faites la moue,
Que les hommes s'en vont se pendre ou se noyer,
La lune aux belles joues ?

Brillez-vous pour que ceux qui marchent sans souliers,
Sans joie et sans pécune,
Aient sur les durs chemins des rayons à leurs pieds
Pendant vos clairs de lune ?

Dans les cœurs délaissés, dans les cœurs indigents
Qui battent par le monde,
Vous laissez-vous tomber comme un écu d'argent
Parfois, la lune ronde ?

Ô lune qui le soir venez boire aux étangs
Et vous coucher dans l'herbe,
Quel mal a pu troubler d'un désir haletant
Votre langueur superbe ?

— C'est d'avoir vu le bouc irrévérencieux
Et la chèvre amoureuse
S'unir dans la nuit claire et réveiller les cieux
De leur clameur heureuse.

C'est d'avoir vu Daphnis s'approcher sans détour
De Chloé favorable...
C'est de sentir monter cette odeur de l'amour
Ô lune inviolable !




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