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Anna de NOAILLES, La Musique passionnée

Les Éblouissements, 1907



S’il y avait un paradis,
Vous n’y seriez pas, ô Cécile,
Mais, chez les damnés, les maudits,
Chez ceux qu’un grand désir exile,

Chez ces brûlants agonisants
Dont l’âme est rouge et pantelante,
Dans l’enfer d’amour et de sang,
Vous rôderiez, sainte bacchante !

Chez eux vous tourneriez en rond,
Vous logeriez chez ces malades,
Et vous leur baiseriez le front,
Ô donneuse de sérénades !

Loin de la calme Trinité,
À ces bouches pleines de soufre,
Vous verseriez la volupté
D’un chant qui jouit et qui souffre.

Ah ! que leurs yeux sont éperdus,
Que d’ardeur, que d’effroi physique,
Que de cris, de baisers mordus
Chez ces amants de la musique !

Quelle avide convulsion !
Vous reconnaîtrez vos fidèles
À cette respiration
Ivre comme un battement d’ailes,

Vous les connaîtrez à ces plis,
À ces profondes cicatrices
Que laissent, sur les corps pâlis,
Les musiques provocatrices !

Les danseurs de Dionysos
Et les joueuses de cymbales
Portaient ainsi au fond des os
Des charbons, des flèches, des balles.

Il n’est pas d’innocents accords,
Il n’est pas de sainte harmonie,
L’extase pénètre les corps
Comme une amoureuse agonie.

Ô Cécile, ô nymphe des cieux,
Est-ce que vos regards se voilent,
Quand nous mourons, silencieux,
De l’âpre langueur de nos mœlles ?…




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