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Clovis HUGUES, Les Petits chats

Poésies choisies, 1893



J'allais fumant un bon cigare,
Cueillant des rimes dans l'azur,
Quand j'entendis un cri bizarre
Dans l'épais gazon, près d'un mur

Où la légère campanule,
Clochette de l'été vermeil,
Au bout des tiges en virgule
Pend toute pleine de soleil.

Étonné, je baissai la tête
Vers l'étroit sentier tout fleuri,
Cherchant à savoir quelle bête
Avait poussé l'étrange cri.

Mais je ne vis que l'herbe épalsse
Où les beaux papillons luisants
Voltigeaient autour d'une espèce
De fleur que j'aimais à douze ans.

Et j'entendais toujours dans l'herbe
Le cri qui m'avait étonné,
Pareil au cri que sous la gerbe
Pousse un grillon emprisonné.

Dans cette plainte presque humaine
Je devinais l'appel fatal
De la bête qui naît à peine
Et que la vie accueille mal.

Or, voilà qu'en suivant la trace
Des sons l'un à l'autre enchaînés,
Je découvris dans l'herbe grasse
Deux petits chats abandonnés.

Ils étaient là, traînant la patte,
Aspirant mal l'air étouffant,
Le poil rare, l'échine plate,
Gros comme les poings d'un enfant.

Ils rampaient, la paupière close,
Aveuglés, brisés, les flancs lourds,
Montrant leur fine langue rose
Qu'on prend pour un bout de velours.

Comme une couleuvre se glisse,
Ils avançaient, tendant le cou,
Gonflant leur petit ventre lisse
Que blessaient l'herbe et le caillou.

Je baissai de nouveau la tête,
Maudissant l'homme triomphant
Qui dans la plainte de la bête
N'entend pas le cri de l'enfant ;

Puis, laissant la strophe cherchée,
Le rêve sublime ou banal,
J'emportai la pauvre nichée
Dans les plis d'un grave journal

Où, pour bien faire peur aux hommes,
Un publiciste bien pensant
Disait au pays que nous sommes
Des fous et des buveurs de sang.

Janvier 1878.




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