Revoir la page d'ouverture
Revenir aux Anthologismes 


Voir le
Catalogue



Marcel BÉALU, Le Bouquet de pâquerettes

Elles et elle, Mémoires de l'ombre, 1959



En quel coin de la nuit avais-je fait naufrage ? L'éternité venait de commencer. Seuls, deux quinquets à pétrole, que balançait le vent au-dehors, soulevaient encore par instants, houle profonde et lente, les voyageurs endormis dans cette salle d'attente. Devant moi, l'énorme poêle de fonte flottait comme au fond de ma mémoire. Quand tout à coup j'en vis sortir un pâle visage. C'était celui d'une femme se levant du sommeil au-dessus des loques éparses de l'obscurité. Et bientôt, sur les traits alourdis de ce visage, se dégagèrent toutes les ombres. Était-ce possible ? Comme autrefois, je la pris par la main, l'emmenai dans les ténèbres. En marchant à travers les rues, je vis qu'elle tenait, serrée sous son bras, une boîte qui ressemblait à un cercueil de poupée. Elle l'ouvrit, comme nous nous arrêtions sur un pont, et je reconnus dedans le bouquet de pâquerettes que j'avais cueilli pour elle quand nous étions deux enfants et qu'elle était mon premier amour. Il était là, intact, après tant d'années. Tous les deux nous pleurions en le regardant. Enfin nous nous décidâmes à accomplir ce pourquoi sans doute nous étions venus, ce qu'il nous fallait accomplir pour être libres de nous aimer comme dans la vie. Au-dessus de l'eau noire apparurent lumineuses avant d'être englouties les fleurs dans le petit cercueil. Et c'en fut fait à jamais de notre souvenir. Nous étions redevenus cet homme et cette femme de la salle d'attente, de la nuit, du hasard. Cet homme et cette femme qui cherchèrent ensuite un hôtel comme des amants de passage, et que l'aube retrouva ignorant tout l'un de l'autre. La gare de cauchemar s'était transformée en un avenant chalet garni d'ifs et de roses, mais deux trains qui se tournaient le dos nous y attendaient.




Laisser un Commentaire

Pseudo

Email


Voir tous les Commentaires














© Gabkal.Com