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Marie-Catherine DESJARDINS, Églogue III

Recueil de poésies de Mademoiselle Desjardins, 1662



Toi qui ne fus jamais sensible qu'à la gloire,
Toi dont la cruauté présente à ma mémoire
Du fidèle Tirsis le funeste transport
Et de tant de Bergers la déplorable mort,
Cède, superbe cœur, il est temps de se rendre,
En vain par ton orgueil tu prétends te défendre :
Je ne reconnais plus cette noble fierté
À qui je dus toujours ma chère liberté.
Divines qualités si longtemps conservées,
Enfin par Clidamis vous m'êtes enlevées :
Il faut vous immoler au pouvoir de l'Amour,
Il est temps de céder, et voilà votre jour.
Que Clidamis est beau ! que sa grâce est extrême !
Que son transport me plaît quand il prononce : « J'aime » !
Mais pour rendre ce mot encor cent fois plus doux,
Que ne dit-il aussi : « Philimène, c'est vous » !
Ha ! bons dieux ! quel bonheur pour mon âme enflammée,
Si de ce beau Berger je me puis voir aimée !
Nos deux cœurs n'auront plus que les mêmes désirs,
Nos âmes goûteront mille innocents plaisirs,
Loin du monde et du bruit, sans nulle inquiétude :
En gardant nos troupeaux dans quelque solitude,
Assis négligemment aux bords des clairs ruisseaux,
Nous mêlerons nos voix au doux chant des oiseaux.
Sans cesse les échos porteront dans la plaine
Le nom de Clidamis et de sa Philimène ;
Les cèdres et les pins de ces bocages verts
Seront gravés par nous de cent chiffres divers ;
On verra ces témoins de nos ardentes flammes
Et les seuls confidents du secret de nos âmes,
Préservés par l'amour des injures du temps,
Conserver dans les cieux un éternel printemps,
Et, pour servir toujours à l'amoureux mystère,
Égaler en beautés les forêts de Cythère.
Nous passerons nos jours sans crainte et sans ennui ;
Il n'aimera que moi, je n'aimerai que lui ;
Sans cesse on nous verra dire sur la fougère :
« M'aimes-tu, mon Berger ? m'aimes-tu, ma Bergère ? »
Pour mettre la raison d'accord avec nos sens,
La vertu règlera nos plaisirs innocents ;
Il chantera mon nom sur sa douce musette,
Je graverai le sien du fer de ma houlette.
Le plaisir de nous voir dans quelque aimable bois
Nous ôtera souvent l'usage de la voix ;
D'un amoureux transport la douce violence
Nous retiendra tous deux dans un profond silence ;
Nos deux cœurs enflammés parleront par nos yeux.
Clidamis, mon Berger, peut-on s'expliquer mieux ?
Dans cet heureux moment on rougit, on soupire,
On demeure muet pour avoir trop à dire.
Hélas ! qu'il est charmant ce muet entretien !
Et qu'on est éloquent lorsqu'on ne se dit rien !




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