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Albert GLATIGNY, La Chanson ignorée

Les Flèches d'or, 1864



Oh ! non, pâle endormie ! oh ! non, morte adorée !
Je ne la dirai pas, la chanson murmurée
En ce Mai de nos cœurs, sous les bois, aux rayons
Des étoiles, moins purs que nos illusions !
Et ni le rossignol qui chante pour la rose,
Ni le calme des nuits à qui souvent je cause,
Ni mon plus cher ami ne l'entendront jamais,
Ce chant mystérieux et tendre que j'aimais
À te dire, en ce temps où ta beauté naissante
Rendait les lis jaloux, ô blanche adolescente !
Oh ! non ! et puisque j'ai lâchement répété
Les mots harmonieux d'espoir qu'en cet été
Je te disais à toi, vierge enfantine et douce,
À d'autres dont le cœur sombre et creux me repousse !
Que du moins cet aveu chaste reste entre nous,
Comme à l'heure où, baignant de larmes tes genoux,
Je t'offrais ce trésor de la vingtième année,
Le premier cri d'amour de mon âme étonnée.

Ô charme ! tes regards clairs et silencieux,
Sources vives d'azur réfléchissant mes yeux,
Brillaient sur moi ; tes mains pâles serraient les miennes ;
Tes longues tresses d'or, souples, aériennes,
Rayonnaient ! Et pourtant, ni tes beaux cheveux blonds,
Ni tes petites mains aux doigts frêles et longs,
Ni tes yeux n'éveillaient mon être. Oh ! non ! mon âme,
Mon âme, qu'enivrait ton cher parfum de femme,
T'aimait, et n'aurait pu dire pour quel motif.
Tout en nous était chaste, innocent et naïf.
Nous ignorions qu'il pût exister en ce monde
Une autre joie, une autre ivresse, plus profonde
Que de se regarder en silence et d'avoir
Les yeux mouillés de pleurs, tous deux, rien qu'à nous voir !

Mais, puisque, obéissant au destin qui m'emporte,
Je suis loin du pays et que te voilà morte,
Que mon cœur inquiet a pu s'ouvrir après
Avoir longtemps gardé ton souvenir si frais,
Qu'il reste entre nous deux, ce chant de la jeunesse !
Que nul, excepté nous, jamais ne le connaisse !

Et si, devant le calme affecté de mon cœur,
L'indifférent au rire agressif et moqueur
Prétend que rien en moi ne s'agite, angélique
Amoureuse, ton nom, ma plus sainte relique,
Ton nom que je répète alors que je suis seul,
Comme je le chantais auprès du vieux tilleul
Autrefois, ton doux nom, montant jusqu'aux étoiles
Où tu viens, ombre triste, agiter tes longs voiles,
Ton doux nom, dit si bas que nul ne l'entendra,
Ô trépassée auguste et chère ! te dira
Qu'on ment, et que toujours dans les choses banales
J'ai gardé la pudeur des amours virginales !




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