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MARIE de France, La Femme et la poule

Les Fables, vers 1180



Une femme, un jour, s’asseyant
Sur son seuil et considérant
Sa poule qui grattait, grattait,
Traquant ver ou grain, s’acharnait,
Et ainsi tout le jour, sans cesse,
Lui dit avec grande tendresse :
« Ma jolie, allons donc, arrête !
À quoi bon gratter, c’est trop bête !
Tous les jours, je vais te donner
Une mesure de mon blé. »
Mais la poule lui répondit :
« Ah ! Quoi ? Madame, qu’as-tu dit ?
Quoi ? Moi ? Que j’aime mieux ton blé
Que ce que je peux picorer ?
Que non, que non ! Moi, dame Poule,
En aurais-je une énorme boule
Sous le bec, pour moi seule en sus,
Que je n’en gratterais que plus
Pour me procurer ma pâture
Selon mes us et ma nature. »

Par cet exemple on veut montrer
Que bien des gens peuvent trouver
Ce dont ils ont simple besoin
Mais ne peuvent changer en rien
Ce à quoi ils sont attachés
Et continuent de le chercher.

Trad. Françoise Morvan

***

Le texte en ancien français :

Une femme se seeit ja
devant sun us, si esgarda
cume sa geline gratot
e sa vïande purchaçot.
Mut se travaillot tut en jur.
A li parla par grant amur :
« Belle, fet ele, lais ester
que tu ne voilles si grater !
Chescun jur grant a tun talent
pleine mesure de furment. »
La geline li respundi :
« A ! quei diz tu dame issi ?
Quides que jeo aime meuz tun blé
que ceo que ai tut tens usé ?
Nenil, nenil, fet la geline,
se devant mei estut une mine
tuz jurs pleine, pas ne lerreie
ne pur ceo ne me targereie
que jo ne quesisse tuz jurs plus
sulunc ma nature, sulunc mon us. »

Par cest essample veut mustrer
que plusurs genz poënt trouver
aveir e ceo que unt mester
mes ne poënt pas changier
lur nature ne lur usage :
tuz jurs conveitent en lur curage.




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