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MARIE de France, L'Escarbot

Les Fables, vers 1180



Un escarbotEscarbot. - Bousier, scarabée coprophage., nous est-il dit,
Et je l’ai trouvé par écrit,
Vivait heureux dans un fumier.
Un jour, bien repu, rassasié,
Il en sortit. Il vit le ciel.
L’aigle y volait à tire-d’aile.
« C’est, se dit-il, un orgueilleux»,
Car il avait le cœur envieux.
Aux autres escarbots il dit
Que leur déesse leur a nui :
L’aigle, elle l’a fait noble et beau ;
Eux ne sont ni vers ni oiseaux ;
Repus, ils ne peuvent voler ;
À jeun, ils ne peuvent marcher.
« Je l’ai observé, moi, des heures,
Lui que nous tenons pour seigneur,
Volant si haut qu’on le cherchait,
Volant très bas s’il le voulait.
Mais il a la voix très moyenne,
Guère plus forte que la mienne ;
J’ai le corps tout aussi luisant
Que le sien, quoiqu’il soit moins grand.
Voici donc ce que j’ai pensé :
Par temps d’hiver, par temps d’été,
Fini pour moi le fumier chaud ;
Je veux voler comme un oiseau,
Je veux vivre comme ils vivront
Et veux aller où ils iront. »
Sur ce, il se met à chanter,
Soit très atrocement crier.
Suivant l’aigle, il fait un grand saut,
Pensant pouvoir voler plus haut.
Mais à peine avait-il sauté
Qu’il était déjà cabossé.
Il ne peut ni monter bien haut
Ni retrouver son fumier chaud.
Il est très loin, il a grand-faim
Et il gémit dans son chagrin :
Qu’un oiseau l’entende, tant pis,
Qu’il se rie de lui, nul souci !
Il s’en moque autant que Goupil
Se moque qu’on le dise vil.
« Peu me chaut pour qui l’on me prenne,
Ver ou oiseau : que je revienne
À mon cher crottin de cheval
Car j’ai si faim que j’en ai mal. »

C’est le sort de l’outrecuidant :
Lui-même il se va condamnant,
Tentant ce qu’il ne sait point faire,
Allant pour revenir arrière.

Trad. Françoise Morvan

***

Le texte en ancien français :

D'un Escarbot nus cunte et dit,
E jeo l'ai truvé en escrit,
Qi ot géu en un fémier ;
Qant il fu saol de mengier
Fors s'en issi, à–munt garda,
E vit l’Aigle cum il vola.
Mult part le tint à orgoillox.
En sun cuer fu mult enviox,
As autres Escarboz a dist
Qe Destinée trop leur meffist ;
L’Aigle aveit fet curteis é bel,
Et il n’estoient ver ne oisel ;
Saoul il ne pooient voler,
A géun ne savoient aller.
L’Aigle a esgardé tut entur,
(Qe nus tennomes à segnur)
Si halt vola que nel’vi pas,
e qant il veut si revient bas.
Si est sa voiz et basse et quoie,
N’est pas plus halte de la moie ;
Autresi est mes cors luisanz
Comme li siens est tant soit granz ;
Une chose ai en mun penssé
Ne en yver, ne en esté,
Ne voil mais en femier entrer ;
As altres Oiseax vueil voler,
Si viverai com il vivrunt
Et irai là ù il irunt.
Dunc cummença à caanter
Mult laidement, et à crier.
Derrier l’Aigle fist un grant salt,
Car il cuida voler plus halt,
Ainz qu’il fust gaires luinz alez
Esturdis fu et estanchiez.
Ne pooit mie hault munter,
N’à son femier puis assener ;
Aveit grant faim, mengier voleit,
par grant destresce se plengneit.
Ne li chausist se il chéist
Ne se pur ce nus l’eschernist,
Niant plus qu’hum fait au Worpil
Qe les Bestes tienent pur vil.
Or ne m’en chalt que l’en me tiengne
Ver u Oisel, mais que jeo viengne
Dedenz la fiente d’un cheval,
Car de faim ai doleur è mal.

Ensi avient as Sorquidiez
Par eaus méisme sunt jugiez ;
Ce emprenne ki ne pueent faire
S’en unt après hunte et cuntraire.




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