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MARIE de France, Le Mulot qui veut se marier

Les Fables, vers 1180



Un tel orgueil jadis saisit
Mulot, parent de la souris,
Qu’il ne voulait parmi les siens,
Ses semblables et ses voisins,
Trouver femme qu’il pût épouser.
Il n’épouserait, c’est juré,
Qu’une femme de noble rang,
Fille du plus haut élément :
Mulot la voulait sans pareille.
Il alla trouver le soleil
Parce qu’il était le plus haut
Et, en été, puissant et chaud.
Il voulait sa fille en mariage :
Pouvait-il monter davantage ?
Le soleil dit : « Va plus avant,
Tu trouveras un plus puissant :
Le nuage me fait de l’ombre.
S’il passe, je deviens tout sombre. »
Mulot, allant voir le nuage,
Demande sa fille en mariage
Car il le tient pour si puissant.
Mais l’autre dit : « Va plus avant,
Il y a plus puissant à trouver,
Je saurai bien te le prouver :
Le vent, je dois en convenir,
N’a qu’à souffler, il me fait fuir. »
Mulot lui dit : « Très bien, j’y vais.
Quant à ta fille, non, jamais. »
Sur ce, il reprend son voyage.
Il dit au vent que le nuage
L’a envoyé auprès de lui
Car il était, lui a-t-il dit,
Puissant entre les créatures
Et d’une force sans mesure :
Tout s’envolait quand il ventait,
Il détruisait tout s’il soufflait.
C’est pourquoi il voulait sa fille.
Ailleurs, tout n’était que broutille :
On le lui avait bien montré,
Rien ne pouvait lui résister.
Le vent répond : « Tu t’es mépris.
Nulle femme pour toi ici.
Il y a bien plus fort que moi
Et qui m’irrite maintes fois :
Il me résiste, il est si fort
Que, mes assauts, il les ignore.
C’est, dit-il, un grand mur de pierre,
Dur et droit dans sa force entière.
Jamais je n’ai pu l’ébranler
Ni même le faire trembler :
Lui, il me repousse, au contraire,
Si fort que je pars en arrière. »
À quoi Mulot répond : « Ma foi,
Ta fille alors n’est pas pour moi.
Je ne dois point femme choisir
Plus bas qu’il ne doit convenir.
À mon pied sera ma chaussure :
Je m’en vais donc trouver le mur. »
Il y va, il fait sa demande.
Le mur le toise et le gourmande :
« Tu t’es, lui dit-il, égaré
Et tu n’as pas bien regardé.
Celui qui t’a conduit à moi
Se moquait bien de toi, je crois :
Tu verras plus fort par ici
Et ce, pas plus tard qu’aujourd’hui. »
« Qui est-ce donc ? Qu’on me réponde !
Y a-t-il plus fort en ce monde ? »
« Oui da, dit le mur : la souris !
Dans mes flancs, elle fait son nid
Et il n’est en moi nul mortier
Qui parvienne à lui résister.
Sous moi, ça creuse ; en moi, ça vient :
Elle entre et rien ne la retient ! »
« Comment ? dit Mulot, quoi, c’est elle ?
Ah ! vous parlez d’une nouvelle !
La souris, mais c’est ma parente !
Tant d’efforts pour ça ! Je déchante !
Moi qui voulais monter si haut,
Il me faut retomber mulot
Et retourner à ma nature. »
« Du destin telle est l’aventure :
Rentre chez toi et retiens bien
Qu’il ne faut plus jamais en rien
Avoir mépris pour ta nature.
Tel qui se hisse sans mesure
Et croit s’élever au plus haut
Retombera plus bas bientôt.
À nul d’ignorer ce qu’il doit
Sauf à méfaire, quel qu’il soit.
Et toi, si loin que tu iras,
Nulle part tu ne trouveras
Femme qui pour toi soit mieux faite
Que la petite souricette. »

C’est le destin de l’orgueilleux,
De l’outrecuidant, de l’envieux :
Qui ne sait vouloir point n’obtient
Et va où il ne voudrait point.

Trad. Françoise Morvan

***

Le texte en ancien français :

Jadis fu si enorguelhiz
Li Musés k'um claime suriz
Qu'il ne pooit, en sun paraige,
En sun samblant n'en sun lignaige,
Fame truver que il presist.
Jà n'en aura nule, ce dist,
S'il ne la troeve à sun talent ;
Marier se veut hautement.
Dist qu'au Soloil ira parler,
Sa fille volra demander
Pur ce que il esteit mult halz
Et en esté poissanz e chalz.
Ne set, ce dist, en plus haucier,
Si requiert sa fille à moillier.
Li Solax dist qu'il voist avant,
S'en truvera un plus poissant :
La Nue qui l'aombre et cuevre,
Ne peut paroir qant soz lui oevre.
Li Musés à la Nue vint
E dist q'à si poissant le tint
Qe sa fille vient demander.
Ele le rueve avant aler
E par resun li veut mustrer
Q'ancor puet plus poissant trouver :
Ce est li Venz, bien i esgart,
Car quant il vente, il la depart.
Fait li Musés : « A lui irai,
Jà ta fille mais ne prendrai. »
Adunc en est alez au Vent,
Si li a dit cun faitement
La Nue li a envoié,
Si li a dit et enseignié
Qu'il estoit de si fort nature
Qu'en sa force n'aveit mesure.
Tutes autres riens departeit,
Quant il venteit, et destruieit ;
Pur ço vuleit sa fille prendre,
Ne volleit mès aillurs entendre.
Li Venz respunt : « Tu as failli,
Fame n'aras tu pas iqui.
Plus fort i a que je ne sui,
Qui mult suvent me fait anui,
Encuntre moi si fiers se fait
Que ne li caut de mun forfait ;
Chou est, fet il, la Tur de piere
Qi tous tans est forz et entiere.
Unques ne la pui despecier
Ne par venter affebloier.
Ains me reboute si arriere
Que n'ai talent que la requiere. »
Li Musés respondit atant :
« De ta fille n'ai ge talant ;
Ne doi plus bas fame coisir
Q'à moi ne doie apartenir.
Fame prendrai à grant honur ;
Or m'en irai jusqu'à la Tur. »
Alez i est, sa fille quist.
La Tors l'esgarda, si li dist :
« Com as, fait ele, meserré !
Tu n'as mie bien esgardé.
Qui por force ça t'enveia,
Il m'est avis qu'il te gaba.
Plus fort truveras encor hui,
A qui unques ne cuntrestui.
– Qu'est ce dunc ? li Musés respunt,
A dunc plus fort en tut le munt ?
– Oïl, fet ele, la Suriz.
Dedens moi gist e fait ses niz.
Il n'a en moi si fort mortier
Q'ele ne puisse trespercier ;
Desoz moi va, parmi moi vient,
Nule cose ne la detient. »
Li Musés dit : « Cument faveles ?
Or ai oï fieres noveles.
Jà est la soriz ma parente.
Bien ai perdu tote m'antante.
Ge quidoie si haut munter
Or me cunvient à recliner
Et returner à ma nature.
– Tes est, dist la Turs, t'aventure.
Va en maisun e si retien
Que ne vuoelles por nule rien
Ta nature mais desprisier.
Tiex se cuide mut essaucier
E cuntre sun dreit alever,
Que plus bas cunvient returner.
Mals prisier ne doit nus sun dreit,
Se ce n'est maus, quex qe il seit.
Jà ne sauras si lung aler
Que tu puisses fame truver
Qui miex soit à tun oes eslite
Que la Sorisete petite. »




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