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Louise COLET, Les Fantômes

Ce qu'on rêve en aimant, 1854



I

Que faites-vous des anciennes amours ?
Les chassez-vous comme des ombres vaines ?
En y pensant, n'avez-vous pas toujours
Comme un frisson qui vous court dans les veines ?

Ils ont été, ces fantômes glacés,
Cœur contre cœur, une part de vous-mêmes,
Ils ont frémi dans vos bras enlacés,
Ils vous ont dit ce mot sacré : Je t'aime !

Ils ont senti, ne fût-ce qu'une nuit,
Leur être ému se confondre à votre être ;
Et Dieu lui-même a recueilli le bruit
De vos baisers dont une âme a pu naître.

Que faites-vous de chaque souvenir,
Spectres moqueurs, ou larves désolées ?
Évoquez-vous ces ivresses mêlées
Pour les pleurer, les plaindre ou les bénir ?

II

Avec dédain souriant, mais l'œil sombre,
Écho de tous un homme répondit :
« Dans son désert quel lion sait le nombre
Des grains de sable où son flanc s'étendit ?

Depuis l'Éphèbe aux formes déliées,
Jusqu'au vieillard que la mort vient courber,
Qui de nous sait les femmes oubliées
Que dans nos bras le hasard fit tomber ? »

Larmes, dégoût des caresses vendues,
Voix des douleurs dans le plaisir criant,
Remords, pitiés, des âmes éperdues,
On vous étouffe en vous multipliant.

L'arbre jauni que le vent découronne
Voit s'effeuiller ses rameaux sans douleur,
Et l'homme ainsi vous chasse de son cœur,
Pauvres amours, tristes feuilles d'automne.

III

Elle était pâle et morne un soir d'été ;
Les cœurs de femme ont aussi leurs fantômes ;
Entre l'éther à la molle clarté
Et la campagne aux enivrants aromes,

Elle voyait passer silencieux
Le défilé des images aimées,
Marchant vers elle et les yeux sur ses yeux,
Lui rappelant les heures enflammées.

Leurs bras tendus semblaient la ressaisir ;
Ce n'étaient point ces ombres effacées
Que l'homme entasse et confond à plaisir ;
C'étaient des voix, des regards, des pensées.

C'était l'amour ! ce fantôme espéré
Qu'attend la vierge et qui déçoit l'épouse,
Toujours, toujours sa vision jalouse
A fui son cœur après l'avoir navré.

Mais elle aima ; sa douleur véhémente
Devint pardon ; l'amour s'est transformé ;
Dans sa pitié, qui change en sœur l'amante,
Elle les plaint de n'avoir pas aimé.

Comme une eau vive à la lèvre altérée
S'offre tranquille et sans troubler son cours,
Dans sa douceur sa tendresse épurée
Voudrait s'offrir pour rafraîchir leurs jours.

Comme un beau chant répand son harmonie,
Comme un calice exhale son parfum,
Elle voudrait de sa paix infinie
Faire monter le calme vers chacun.

Être la rive ombreuse des vallées
Qui nous charma, vers laquelle on revient,
Et recueillir ces âmes envolées
Au doux abri d'un cœur qui se souvient.





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