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Georges de SCUDÉRY, Prométhée

Le Cabinet de Mr de Scudéry, 1646



De la main du Tintoret

Tremblez, dis-je, tremblez, esprits ambitieux,
Qui voulez pénétrer dans les secrets des cieux,
Voyant sur ce rocher le hardi Prométhée :
Que l'horreur de son mal vous instruise à la fin ;
Et comme sa poitrine est toujours becquetée,
Craignez toujours d'avoir son crime et son destin.

Bien qu'il soit sur la Terre, il est dans les Enfers :
Par mille vains efforts, il veut rompre ses fers,
Et ses fers inhumains le pressent davantage :
Il s'émeut, il s'agite, il augmente ses maux ;
Et dans le désespoir qui règne en son courage,
Il joint peine à supplice et travaux à travaux.

Déjà l'oiseau cruel, de son bec sans pitié,
Tire de l'estomac fendu par la moitié
Le poumon renaissant de ce fameux coupable :
Il le voit, il y vole, il s'en paît à l'instant ;
Et de ce grand vautour la serre impitoyable
Arrache au malheureux le cœur tout palpitant.

Une source de sang coule de tous côtés ;
Ces funestes rochers en sont ensanglantés ;
Il jaillit, il s'épend, il arrose la terre :
Tout en paraît vermeil, tout en paraît mouillé ;
Et l'oiseau qui lui fait cette immortelle guerre
En a la plume teinte et le bec tout souillé.

Hélas, quelle douleur éclate dans ses yeux !
D'un regard affligé qu'il jette vers les cieux,
Il semble demander la grâce de son crime :
Il semble demander la fin de son tourment,
Mais des cieux irrités la rigueur légitime
N'écoute point ses yeux qui parlent vainement.

Il semble qu'il soupire, il semble qu'il gémit ;
Il semble qu'il expire, il semble qu'il blêmit,
Et qu'en lui la Nature est enfin abattue :
Mais tout faible qu'il est il ne saurait finir,
Il se revoit vivant à l'instant qu'on le tue,
Et l'immortalité ne sert qu'à le punir.

Ô que de repentir fait voir son action !
Ô que parmi l'excès de son affliction
Il maudit son adresse, et l'argile animée !
Sa fatale statue est toujours devant lui ;
Il voudrait être mort alors qu'il l'a formée,
Tant il a de regrets de ne l'être aujourd'hui.

Oui, ce céleste feu d'où partent les esprits
Brûle dedans le cœur de celui qui l'a pris,
Et devient son tourment comme il fut son envie :
Il en souffre la flamme, il en ressent l'effort ;
Mais cet infortuné qui put donner la vie
N'aura pas le pouvoir de se donner la mort.

Ô toi, peintre fameux, dont l'extrême savoir,
Dans ce docte tableau, fait parler et mouvoir
L'image que je vois si bien représentée,
Comme ton art divin donne le mouvement,
Et comme tes pinceaux imitent Prométhée !
En ayant le savoir, crains-en le châtiment.




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