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Alphonse ALLAIS, Œuvres pies
Le Sourire, 11 novembre 1899


L'excellent prêtre qui dessert la petite paroisse de Chose-en-Machin où je villégiature encore, malgré la déjà passée Toussaint (j'y attends sans patience l'imminent trépas d'une vieille cousine à héritage), est un de mes amis.

Ni lui ni son très vieux calvados n'ont de secrets pour moi.

En un mot, c'est un brave homme.

Il y a quelques semaines, donc, passant devant son coquet presbytère, je l'aperçus qui cueillait ses poires, ses dernières poires : un léger voile de tristesse, à ce qu'il me sembla, embrumait son front clair.

— Qu'y a-t-il donc de cassé ? fis-je de mon ton le plus profane (car je ne me gêne pas avec lui, ni lui avec moi d'ailleurs, ce en quoi il a, fichtre ! bien raison).

— Ah ! ne m'en parlez pas, répondit-il, je sors de mon catéchisme... Ces petits bougres-là finiront par me faire tourner en bourrique !

— Ils ne veulent rien apprendre ?

— Rien ! C'est désolant.

— Ça leur évitera la peine d'oublier plus tard.

— Vous rigolez, vous, mais ça n'est tout de même pas drôle !

À ce moment, une bande de gosses d'une douzaine d'années passaient dans le chemin, se tenant par le bras et hurlant à tue-tête la célèbre chanson dont voici l'oiseux refrain :

Les matelots
Sont rigolos,
Aimant à rire,
Vogue ou chavire,
Les matelots
Sont rigolos, etc., etc.

— Tenez, fit le brave ecclésiastique de plus en plus découragé, les entendez-vous ! Oh ! des ordures comme ça , ils les retiennent du premier coup ! ... Tandis que le catéchisme... Ah ! maladie...

Une idée que je crus d'abord géniale — sauf à en rabattre légèrement par la suite — venait de sourdre en mon cerveau.

— Dites-moi, mon cher curé, pour-quoi ne mettriez-vous pas le catéchisme en couplets ?

— Sur l'air Les matelots sont rigolos ? Vous voulez rire ?

— Pas le moins du monde.

— D'ailleurs votre idée n'est pas nouvelle. Un de mes collègues, M. l'abbé A. Dessaine, ancien vicaire général, chanoine honoraire, membre de l'Académie de la Val-d'Isère (sic), a composé un catéchisme sur des airs variés. Les résultats de cette tentative ne confirmèrent pas, hélas, les espérances des personnes pieuses.

— Parce que cet abbé, sans doute, n'a pas choisi des airs assez gais.

— Peut-être. Tâchez de faire mieux, sans tomber pourtant dans l'indécence. La fin justifie les moyens.

Cinq minutes ne s'étaient point écoulées que je remettais à mon sacré ami (au sens religieux du mot) la première leçon de catéchisme, ainsi versifiée, sur l'air, précisément, des fameux Matelots.

D.— Êtes-vous chrétien ?

R.— (Air : Les Matelots sont rigolos.)

Je suis chrétien, voilà ma gloire,
Mon espérance et mon soutien,
Mon chant d'amour et de victoire,
Je suis chré-tien ! Je suis chrétien !
Etc., etc., etc.

(Prière de remarquer que le texte de ce couplet, ainsi que celui des suivants, est absolument conforme aux plus rigides principes de notre vieux catholicisme.)

Mon curé était enchanté.

—Tiens, tiens, murmurait-il, mais ça pourrait très bien réussir, ce truc... Venez déjeuner demain avec moi et apportez-moi une chanson sur le pape.

— Entendu !

Je me mis à l'œuvre et voici le fruit de mon application (les deux premiers couplets seulement, pour ne pas être indiscret) :

D.— Qu'est-ce que le pape ?

R.— (Air de la Polka des Angliches.)

Ici-bas sur la terre,
Le pap', notre Saint-Père,
Symbole de piété,
Est le chef écouté
De l'Églis' catholique
Sainte et apostolique.
Il faut suivre sa loi
Et en lui avoir foi.

REFRAIN

Tralalalala, etc., etc.
Y a qu'les catholiques
(Chic !)
Qui vont au ciel !

D.— Faut-il croire à l'infaillibilité du pape ?

R.— (Même air.)

Oui, je l'crois infaillible,
Qu'il s'tromp', c'est impossible.
Avec lui, pas d'erreurs,
C'est l'docteur des docteurs.
Il tient ça de Saint Pierre,
À qui l'Christ dit naguère :
« Pour garder mes brebis,
J't'assist'rai. C'est promis !  »

REFRAIN

Notons encore ce délicieux couplet :

D.— Quelle différence y a-t-il entre le péché mortel et le péché véniel ?

R.— (Air : Je regardais en l'air.)

Un seul péché mortel,
Et l'diabl' vous patafiole !
Tandis que le véniel,
Au fond, c'est d'la babiole.
Mais...........................

Et maintenant, je m'adresse à vous, mes chers lecteurs, afin de compléter cette œuvre de vulgarisation pieuse, un peu lourde pour mes simples épaules.

D'avance, je vous remercie de votre concours (c'est le cas de le dire) et je m'empresserai de publier ici-même les envois les plus méritants.