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Nina de VILLARD, Bouquet
Feuillets parisiens, 1885







I
LILAS

Les premiers lilas blancs ont le charme énervant
D’une Parisienne exquise et raffinée,
Par les bals de l’hiver exquisement fanée,
Trop frêle pour subir le soleil et le vent.

Puis viennent les lilas lilas, fleurs plantureuses,
Orgueil des bois, triomphe éclatant des jardins,
Remplissant l’air de leurs caresses amoureuses,
Apportant sur la terre un rappel des Édens…


II
GIROFLÉE

Sur les vieux murs détruits pousse la giroflée,
Comme un dernier désir au fond d’un cœur meurtri.
Après avoir tout éprouvé, la désolée
Veut essayer encor de fuir l’horrible ennui.

Ô Printemps, tu permets à la noire ruine
De retrouver bouquets, parfums et chants d’oiseaux :
Ouvre à mon désespoir l’inépuisable mine
Des recommencements et des frais renouveaux.


III
CAMÉLIA

Sur un feuillage vert brutal, ma blancheur fière
      S’épanouit insolemment,
À moins qu’elle ne pare en un soin de première
      Le frac d’un élégant charmant,
Qui la promène, hélas ! mourante et prisonnière,
      Pâle astre d’un noir firmament.

Et pourtant, mon triomphe est assombri d’envie.
      Nul visage ne s’est penché
Vers mon pétale clair, qui semble être sans vie.
      Parfum ! en vain, je t’ai cherché.
Être tentation, soit… Fleur inassouvie,
      Je voudrais plus : être péché.


IV
MUGUET

Près de la fontaine, où croît le cresson
Se trouve une fleur qui semble une perle.
Elle pousse au pied d’un arbre, où le merle
Chante des duos avec le pinson.

Elle est blanche, elle est ronde, elle est exquise ;
Elle est très petite et se fait chercher…
Non, jamais duchesse et jamais marquise
D’un plus beau joyau ne put se parer.

Fillettes, allez cueillir des couronnes,
Avec vos amis : l’amour fait le guet.
Aimez au printemps, narguez les automnes ;
La petite fleur, c’est le blanc muguet.


V
MYOSOTIS

De la terre et du ciel je suis métis ;
J’ai le bleu de l’un, de l’autre la sève :
L’amoureux paré de mon azur, rêve ;
            Je suis myosotis…

On m’appelle ailleurs, aux lointains pays.
« Ne m’oubliez pas » et nul ne m’oublie.
Hans le rêveur, ni Gretchen la jolie :
            Je suis myosotis…

Mon pétale est court, mes pistils petits.
Je n’ai nul parfum ; et toute ma gloire,
C’est d’être un reflet bleu d’une victoire…
            Je suis myosotis.

Les amours profonds aux longs appétits,
L’amour au front gai, l’amour au front blême,
M’ont choisi tous trois pour unique emblème :
            Je suis myosotis.

Je suis le témoin des plaisirs flétris,
Je suis le témoin du bonheur qui reste,
Je suis la fleur simple, ignorée, agreste…
            Je suis myosotis…