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Aloysius BERTRAND, Perdue et retrouvée
Conte fantastique - Les Grâces, journal du beau sexe, n°7, 26 décembre 1833







Il était sept heures à l'horloge des Tuileries, et déjà la foule bigarrée, papillonnante des promeneurs s'envolait en légers essaims, aux approches de la nuit ; les femmes emportant dans leurs cheveux, dans leurs vêtements de soie, de doux parfums ravis aux orangers en fleurs. Moi-même – je m'étais levé indolemment de mon banc solitaire et, bercé par les extatiques préoccupations qui me font ressembler à un buveur d'opium, je me dirigeais vers les grilles.

Un éclat de lumière jaillit à mes pieds, du milieu des blancs cailloux qui sablent les allées du jardin. Je me baisse et j'aperçois une bague qui sans doute avait été perdue pendant les jeux folâtres de la soirée. Une jolie bague, ma foi ! petite, petite à y loger un doigt d'enfant ! le diamant en étincelait comme l'œil d'un basilic : on eût dit qu'un lutin avait été emprisonné par quelque enchanteur dans le chaton de cette bague ; toujours est-il, que je crus avoir fait la trouvaille d'un de ces talismans d'autant plus précieux qu'ils sont plus rares depuis la mort de la bonne sultane Sheherzade. La féerie d'Orient s'est éteinte avec la lampe merveilleuse de Saladin.

Jugez si mon imagination se mit en danse, la folle ! mon regard plongeait dans la lanterne magique de la création. Je descendais de mine en mine au centre de la terre où les gnomes forgent la fameuse clé d'or qui ouvre toutes les portes et tous les coffres ; je plongeais dans le liquide palais des mers pour ramasser les perles qui y naissent et roulent sous les pas des ondines, j'aidais les salamandres à brasser et à fondre les métaux dans l'ardente fournaise des volcans ; je m'élevais sur les ailes des sylphes à une hauteur si incommensurable que le globe terrestre ne m'apparaissait plus que comme un moucheron égaré dans les plaines de l'air. Et j'étais aussi intrépide que lorsqu’au mois de décembre, je m'endors sur l'oreille gauche, dans mon lit bien bassiné, après avoir eu soin au préalable de placer perpendiculairement l'éteignoir sur la chandelle, et d'enfoncer mon bonnet de coton jusqu'au bout de mon nez !

Cependant, revenu parmi les hommes, il me semblait qu'enfin il m'était donné de réaliser les rêves délirants de ma jeunesse, amour, gloire et bonheur ! L'amour ! cette fleur du ciel, comme la sensitive, s'était dérobée à ma main. – La gloire ! cette idole n'avait d'autre vie que celle du marbre et du bronze debout sur nos places publiques. – Le bonheur ! vainement avais-je poursuivi ce dieu à travers le monde avec le bourdon du pèlerin. – Amour, gloire et bonheur ! trois mots jetés aux humains pour exercer leur débile intelligence et leurrer leur oisive curiosité ! – Eh bien ! grâce à mon talisman, je traduisais cet indéchiffrable hiéroglyphe : amour, gloire et bonheur !

Hélas ! c'était réaliser mes rêves par un rêve ! quels furent mon désappointement et mon chagrin lorsque je voulus essayer la bague enchantée, de voir qu'elle n'allait à aucun de mes doigts ! un chameau eût plutôt passé par le chas d'une aiguille. Adieu mes excursions dans le pays des gnomes, des sylphides, des salamandres et des ondines ! Adieu mes châteaux en Espagne, d'amour, de gloire et de bonheur ! L'ange de la lumière, précipité par la droite du Tout-Puissant, ne demeura pas plus étourdi de sa chute.

Ainsi ma trouvaille n'était plus guère qu'un poisson d'avril, une bague de similor, un diamant de verre ! j'étais le mystifié ; mais où était le mystificateur ! à qui le sou marqué ? «  Avez-vous perdu quelque chose, madame ?

– Si j'ai perdu quelque chose ! me répondit-on d'une voix chevrotante. Oh ! puissiez-vous avoir trouvé et me rendre ce que j'ai perdu !

– Et qu'avez-vous perdu, respectable dame ?

– L'agilité de mes jambes. J'étais, il n'y a guère plus de trente ans, la première danseuse de l'Opéra. Auriez-vous si tôt oublié que c'est moi qui ai inventé le grand écart héroïque ?

– Comment l'aurais-je oublié ? je ne l'ai jamais su ; quant à l'agilité de vos jambes, adressez-vous à Mlle Taglioni, je soupçonne qu'elle a trouvé ce que vous avez perdu ; mais, entre nous soit dit, je doute qu'elle vous le rende.

– Ô Vestris ! soupira-t-elle, il ne me reste plus qu'à te rejoindre. »

À cette personne succéda une caricature digne des crayons de Charlet ; nez couperosé, taille épaisse, robe chargée de volants, un ridicule d'où sortait le coin d'un mouchoir à carreaux rouges et bleus, taché de tabac, et la tranche d'un volume format des romans de M. Dinocourt. – « Avez-vous perdu quelque chose, madame ?

– Quelque chose ! hélas ! les roses de mon teint ont d'abord fait place à la pâleur des lys ; puis, ma bouche s'est ébréchée sous les coups de la faux du temps ; puis, ma tête a grisonné en dépit de la pommade mélaïnocôme ; puis... que vous dirai-je, monsieur ? Un jour c'était mon pied, un autre jour c'était ma main ; et pour comble d'horreur, la tombe vient de me séparer à jamais de mon Fidélio !

– M. Fidélio était votre mari ? lui demandai-je, tout ému de l'entendre sangloter.

– Non, monsieur ; Fidélio était mon bichon. Le pauvre animal est mort d'une indigestion de pimblettes, hier à une heure moins un quart.

– Consolez-vous, madame, lui dis-je ; vous retrouverez les roses de votre teint, vos cheveux, votre râtelier et votre Fidélio dans un monde meilleur. »

Il était évident que je m'étais une seconde fois mal adressé.

Voici venir alors une grande et belle brune, négligemment enveloppée d'un schall, qui me décocha une œillade du fond de son bibi violet. Je la saluai : – « Avez-vous perdu quelque chose, mademoiselle ?

– Oui, monsieur, et je cours après. En auriez-vous par hasard des nouvelles ?

– Peut-être ! faites-m'en la description.

– Il a la goutte, et met des guêtres comme un chasseur de renards. Il jure par goddam ! il paie par guinées. Milord est mon amant. Une figurante de la Porte-Saint-Martin me l'a débauché.

– Ce n'est pas cela. Cependant, je sais ce que vous voulez dire. Milord est parti pour le Hâvre avec Mlle Arolette qu'il emmène dans son château du comté d'York.

– Ah ! la mâtine ! elle va se faire épouser ! s'écria-t-elle en se mordant les lèvres.

– Adressez une pétition à la Chambre des lords d'Angleterre, lui dis-je, je vous l'apostillerai. »

Ces trois femmes avaient déjà trop vécu, pour se souvenir de la perte d'une bague ! J'interrogeai donc une jeune fille: elle avait cet âge où la vie n'a encore eu rien d'irréparable, où l'on pleure à quinze ans d'un ruban gâté, comme on se désole à vingt-cinq ans d'un amant infidèle, à quarante de son printemps éclipsé, à soixante de l'oubli qui vous précède chez les ombres.

– «  Avez-vous perdu quelque chose, mon enfant ?

– Hélas ! j'ai perdu la bague que ma mère m'a achetée à la foire de Saint-Cloud. Ô ma mère ! Ô ma bague ! »

Et elle me regardait avec des yeux pleins d'innocence et de larmes. Heureuse jeune fille si malheureuse de la perte d'une bague !

« Ne pleurez plus, mon ange, lui dis-je ; le bon Dieu vous rend votre trésor. »

Comme elle sauta de joie, comme elle battit des mains, lorsque je tirai la bague de ma bourse de filoselle verte ! mais ô prodige ! à peine brilla-t-elle à son doigt, qu'un charme inconnu pénétra tous mes sens. Les fleurs, les étoiles, les vents murmuraient mélodieusement à mon oreille : – « Esclave du talisman, aime ! – Aime et tu seras aimé ! – La gloire et le bonheur sont dans l'amour ! » – Je compris que ma destinée s'accomplissait, et je serais tombé aux genoux de la jeune fille, si elle ne s'était enfuie en riant à la voix lointaine de sa mère qui appelait :

« Adèle ! »