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Alphonse ALLAIS, CLARA ou le bon accueil princièrement récompensé
Pour cause de fin de bail, 1899


PREMIER ACTE


La scène représente la grand’place d’un modeste village. Un vieillard péniblement appuyé sur un bâton vient d’y arriver. Des enfants, les uns goguenards, les autres pitoyables, contemplent le bonhomme et l’entourent.

LES ENFANTS, animés de sentiments divers
Où vas-tu, blanc vieillard, par ces tristes novembres ?
Cherches-tu quelque endroit où reposer tes membres ?
Vas-tu chez l’Espagnol ou bien chez le Kroumir ?

LE VIEILLARD, bien las, si las…
L’épave choisit-elle un lieu pour y dormir ?
Que sais-je ? Ah ! mes enfants, voici la nuit qui tombe,
Peut-être, au lieu d’un toit, trouverai-je une tombe !

PREMIER ENFANT, hypocrite
Pourquoi ne viens-tu pas, alors, chez mes parents ?
(Demande à mes amis qui s’en portent garants)
Ils te réserveront une place à leur table.

DEUXIÈME ENFANT, rageur, au premier
Dis plutôt, camarade, une place à l’étable ;
Car ton père fort dur et ta mère sans cœur
Recevront ce pauvre homme avec un air moqueur.

TROISIÈME ENFANT, fier
Vieillard, viens chez mon oncle. Il est garde-champêtre.
Vois ces riches troupeaux qui s’en vont aux champs paître :
À leurs maîtres, il peut dresser procès-verbal.

QUATRIÈME ENFANT, cossu
Papa tient cabaret, épicerie et bal.
Chez lui, sans crainte, avant de reprendre ta route,
Ô pâle voyageur, viens-t’en boire une goutte.

CINQUIÈME ENFANT, une petite fille
Vivant d’une pension de veuve de sergent,
Ma mère, cher Monsieur, n’a pas beaucoup d’argent.
Mais, ce qui vaut bien mieux, elle est jeune et jolie.

LE VIEILLARD, enthousiaste, à la petite fille
De tous ces galopins, c’est toi la plus polie,
Blonde enfant ! Conduis-moi jusques à ta maman
Car (je le sens déjà) je l’aime énormément.

Le vieillard, tenant l’enfant par la main, s’éloigne dans la direction de la maison de la petite. – Rideau.

FIN DU PREMIER ACTE


DEUXIÈME ACTE


La scène représente un perron orné d’une vigne vierge rouge, devant une maison rustique. Au lever du rideau, ils sont rangés là, tous les trois, le vieillard tenant dans sa main gauche la main de l’enfant et, du bras droit, enlaçant la taille de la jeune femme qui (la petite fille n’a nullement exagéré) est en effet fort jolie.

LE VIEILLARD, véhément
Accourez tous, enfants, vieillards et hommes mûrs !
Celui que vous voyez aujourd’hui dans vos murs
N’est pas – et tant s’en faut ! – ce qu’un vain peuple pense.
La bonté, tôt ou tard, trouve sa récompense.

Désignant la jeune femme.

J’épouse cette dame au si charmant accueil.
Pour elle, ils sont finis, les sombres jours de deuil !

Il l’embrasse.

Du bonheur mérité, Clara, voici l’aurore !

Il la rembrasse.

Qu’un beau soleil d’amour te caresse et nous dore !

Il l’embrasse de nouveau ; puis, comme devenu la proie subite d’une inconcevable frénésie, il arrache sa perruque, sa fausse barbe et les guenilles dont il était revêtu. Il apparaît alors en joli homme, sanglé dans une tunique de la meilleure coupe avec, sur la poitrine, les palmes d’officier d’Académie, et au côté, une épée administrative. Puis, il s’écrie :

Si haut placé qu’il soit, honte à celui qui ment !
Je suis le sous-préfet de l’arrondissement.

Tableau – Rideau

FIN