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Léon VALADE, Madrigaux amers
Les Matins, À mi-côte, 1869-1874




À Charles Bataille.



I

Les fleurs et toi, blonde ennemie !
Vous avez ce secret moqueur
De verser à l’âme endormie
Une dangereuse langueur.

Les oiseaux et toi, bien-aimée !
Vous avez ce charme irritant
De l’aile à peine refermée
Qu’un caprice rouvre à l’instant.

Les étoiles et toi, ma belle !
Pour exalter nos vains élans,
Vous avez la douceur cruelle
Des longs regards froids et brûlants.


II


« Ce qui faisait les amoureuses
« Tendres, c’est le bruit écouté
« Des sérénades langoureuses
« Dans les clairs de lune d’été.

« Troublé d’une ivresse fatale
« Quel cœur, dis-tu, ne remuait ? »
– Mais, ô belle sentimentale,
L’ombre où vague l’amant muet,

Les stations sous la fenêtre,
Le retour obstiné des pas
Sur le pavé boueux, peut-être
Ne t’en doutes-tu même pas ?...


III


Le rire à tes folles dents blanches
Tinte si naïf et si clair,
Que le son des cloches dans l’air
A des allégresses moins franches.

Tes larmes, source éparpillée,
Perlent si bien à chaque cil,
Qu’il a moins de grâce en Avril,
Le frisson de l’aube mouillée !

Avec ta gaîté tu me charmes
Comme avec les pleurs de tes yeux :
Et je ne sais qui ment le mieux,
Ou de ton rire ou de tes larmes.


IV


Ton orgueil me fait plus épris.
Tes hauteurs n’ont rien qui me dompte :
Mais j’aime et je subis sans honte
Ton injuste et faible mépris.

Tes pâles colères d’enfant
Plaisent à mon cœur qui s’en joue.
La rougeur allume ta joue
D’un rayon presque réchauffant.

Et quand un affront mérité
Soulève tes débiles haines,
J’y verrais, sans ces larmes vaines,
Un éclair de sainte fierté.


V


Nulle musique n’est pareille
Aux inflexions de ta voix,
Dont le son frêle et doux, parfois,
Arrive seul à mon oreille.

Parles-tu toujours à mon gré ?
Et ne suis-je point, sans l’entendre,
Raillé souvent par ta voix tendre ?
Je n’en suis pas bien assuré.

Hélas, tu peux railler à l’aise :
Quand l’air est si mélodieux
Qu’il emplit de larmes les yeux,
Qu’importe la chanson mauvaise !


VI


Profonds cheveux, cheveux d’or fin,
Ondes où s’éteignaient les fièvres
De mon désir, vous que mes lèvres
Amoureuses baisaient sans fin !

Si la bouche souvent parjure,
Si les yeux méchants à dessein,
Et si la froideur du beau sein
Ont aggravé ma peine dure ;

Ce n’est pas à vous que j’en veux
De leur complicité cruelle,
Ô dernière innocence en Elle,
Cheveux d’or fin, profonds cheveux !


VII


Sur la mer de tes yeux sincères
Qu’abritent les doux cils arqués,
Mes rêves se sont embarqués
Comme d’aventureux corsaires.

Sur l’azur glauque de tes yeux
Où baignent des lueurs d’étoiles,
Mes rêves déployant leurs voiles
Ont cru fendre le bleu des cieux.

Et dans vos prunelles profondes,
Beaux yeux perfides où je lis,
Mes rêves sont ensevelis
Comme le noyé sous les ondes.