I
Quand de la mer Egée où glisse le navire
Aux clartés du matin le voyageur voit luire
Les golfes de l'Attique en cirques arrondis,
Il découvre, éclairé comme il était jadis,
Le calme paysage où rayonnait Athènes !
Au fond le Pentélique en lignes incertaines,
Plus près le mont Hymette au lumineux contour,
Et dans le vif azur où ruisselle le jour,
Comme un trépied géant un roc à large cime
Qui porte avec fierté le Parthénon sublime !
Aux baisers du soleil son fronton s'est doré.
Les siècles en fuyant l'ont à peiné altéré,
Et, des temples tombés dominant les décombres,
Il est demeuré seul, phare parmi les ombres.
À sa base il a vu s'entasser, écroulés,
Volutes, chapiteaux, bas-reliefs mutilés ;
Sortant de leurs débris, la Tour vénitienne
Heurte de sa lourdeur la grâce athénienne ;
Elle passe du front le portique éclatant,
De sa beauté tranquille il l'écrase pourtant,
Et la forme ineffable, éternellement pure,
Découpe au bleu du ciel sa sereine structure.
Du sommet radieux lorsque l'œil redescend
Sur la croupe du roc, il admire en passant
Les colonnes debout des longues Propylées
Qui montent dans l'éther, blanches et cannelées ;
Et, comme un champ de mort des grands restes de l'art,
Les trois temples détruits à droite du rempart ;
Là, près des piédestaux qui n'ont plus de statues,
Se pressent les fragments des frises abattues.
Dans les parvis déserts les chèvres vont paissant
Aux marbres renversés le lichen jaunissant.
Le soir, quelque vieux pâtre à la stature antique
Erre parmi les blocs du grand mur pélasgique !
Et de cette hauteur il voit fuir l'Ilissus,
Il aperçoit au pied du mont Lycabethus
L'Athènes renaissante et le bois séculaire
Des oliviers sacrés. – Au rivage, Phalère,
Le Pirée. – Au-delà, belle encor de son nom,
Salamine ! et là-bas, à l'extrême horizon,
Par les feux du couchant Corinthe couronnée,
Dressant sur les deux mers sa tête illuminée !
Alors, comme des flots qu'en entendrait venir,
Sur le passé muet monte le souvenir !
Secouant le linceul de sa blonde poussière,
La Grèce d'autrefois se lève tout entière !
Ses ports sont repeuplés, ses cités sont debout,
Ses héros et ses dieux se dressent tout à coup !
Athènes ressuscite avec son Acropole,
Dont le blanc Parthénon forme encor l'auréole ;
Le ciel est sur la terre, et l'homme, radieux,
Sent en lui. le génie et la force des dieux !
II
Pour ce peuple inspiré des beaux jours de la Grèce,
Qui vivait dans sa foi, sa beauté, sa jeunesse,
L'apothéose était une échelle de feu
À l'Olympe immortel joignant la race humaine :
Terre et cieux se touchaient, et l'on savait à peine
Où l'homme finissait, où commençait le dieu !
L'héroïsme, l'amour, la grâce, le génie,
Formaient de déités une chaîné infinie ;
Et par quelque splendeur tout être s'élevant,
Comme un terne bûcher que la flamme illumine,
Participait soudain de l'essence divine,
Et devenait le dieu qu'il s'en allait rêvant !
À chaque pas c'étaient de célestes histoires.
Les forêts, les échos, les mers, les promontoires,
Les sources, les buissons, en mythes abondaient ;
Du grand centre inconnu sur la terre féconde
Des légions d'esprits s'épanchaient comme l'onde,
Les voix de la nature à l'homme répondaient.
Des peuples primitifs le culte était l'emblème,
Dans leur religion passait leur esprit même ;
Leur foi déifiait l'idéal adoré.
Quand le peuple était grand, c'était un grand symbole ;
L'âme d'Athène ainsi plana sur l'Acropole
Dans le temple du dieu qu'elle avait préféré.
Ce n'était pas Vénus au sourire impudique,
Entre ses bras ouverts berçant le monde antique,
Et vers l'homme abaissant la dignité des cieux…
C'était l'âme du beau, c'était la foi guerrière,
C'était la pudeur sainte et l'amour sérieux,
C'était Minerve, vierge altière !
Fille de Jupiter, qui d'elle s'inspirait,
Elle ennoblissait l'homme et le transfigurait !
Aux sages, aux héros, elle donna naissance ;
Si leur front resplendit d'un éclat radieux,
C'est qu'elle fit passer sur tous ces demi-dieux
Comme un éclair de sa puissance !
Athène entend venir les Perses ennemis,
Miltiade, Aristide, et Thémistocle unis,
Marchent contre eux. Soudain leur retraite est coupée ;
Ils tombent en fuyant comme un lourd tourbillon,
Car de ces trois héros, vainqueurs à Marathon,
Minerve dirige l'épée !
Dans les combats, Tyrtée-aux bataillons sacrés
Faisait braver la mort par des chants inspirés ;
L'hymne guerrier changeait l'héroïsme en délire,
Les cris, le choc du fer, sous sa voix s'étouffaient,
Il chantait la victoire, et les Grecs triomphaient :
Minerve avait touché sa lyre !
Rendre le peuple grec éternel désormais,
Défier l'univers de l'égaler jamais,
À son ère éclatante attacher ta mémoire,
Ce fut, ô Périclès ! ton rêve ; il s'accomplit,
Devant ton siècle encor chaque siècle pâlit,
Minerve en façonna la-gloire !
Elle inspire le rythme, et la danse, et les sons ;
La chaste poésie, et ses doctes leçons,
Qui tombent pour les forts des lèvres de Socrate ;
Le démon familier que ce sage évoquait,
C'est elle ! et, quand il meurt, dans le dernier banquet
Minerve par sa voix éclate !
Reniant leurs aïeux, quand les Grecs énervés
Tendent leurs bras aux fers qu'ils ont longtemps bravés,
Démosthène apparaît : la lâcheté s'étonne.
Son geste, c'est la foudre !... Est-ce un homme ? est-ce un dieu ?
Dans ses cris éloquents, dans ses regards de feu,
Au dernier jour Minerve tonne !
III
Athènes ! tu naissais à peine quand Pallas
T'anima de son cœur, te soutint de son bras.
D'un souffle olympien elle t'a fécondée,
Elle te fit grandir par la force et l'idée ;
Et vers tes hauts destins tandis que tu montais,
Comme l'on sent son âme, en toi tu la sentais !
Ton premier hymne au ciel, ta première prière,
Furent pour la déesse à la fois chaste et fière ;
Son nom fut le premier que tu balbutias,
Dans l'art par son image un jour tu t'essayas :
Avec le tronc grossier d'un arbre de l'Hymette
Tu la sculptas, naïve, un boisseau sur la tête.
Mais, lorsque son esprit, qui rayonnait en toi,
Dans l'art et dans la guerre eut fait ton peuple roi,
Ta déesse de bois devint d'or et d'ivoire ;
Tu lui voulus un temple à l'égal de ta gloire ;
Sur l'Acropole, autour de l'olivier sacré,
Qui, planté par Minerve, a grandi vénéré,
Sous le dôme d'un ciel souriant à toute heure,
De ta Divinité s'éleva la demeure !
Tout un peuple accourut pour tailler de sa main
Les blocs du Pentélique aussi durs que l'airain.
Le voilà ce temple sans tache,
Blanc comme un vêtement sacré !
Comme la neige qui s'attache
Au front du Parnasse éthéré !
Éblouissante colonnade
Que Zéphire va caressant ;
Le voilà tournant sa façade
Aux feux du matin rougissant !
Son fronton monte et se décore
De tout l'Olympe radieux :
Minerve, qu'éclaire l'aurore,
Apparaît au milieu des dieux !
Et de l'autre côté du temple
Par le couchant illuminé,
Victorieuse elle contemple
Neptune à ses pieds enchaîné !
Sur la frise où le jour palpite
Semblent hennir les coursiers blancs ;
Un char vainqueur se précipite,
Suivi de chars étincelants ;
Des vierges aux longues tuniques
Portent des amphores de miel,
Et les pains que leurs doigts pudiques
Viennent de pétrir pour l'autel.
On dirait leurs robes mouvantes,
Leurs cheveux frémissent à l'air :
Ces formes sont-elles vivantes ?
Est-ce le marbre ? est-ce la chair ?
C'est plus que la vie éphémère,
C'est le souffle de Phidias
Qui donne un corps aux dieux d'Homère
Et qui vient d'animer Pallas !
Entrons dans la chambre sacrée ;
Elle est là sur son piédestal ;
À sa belle tête inspirée
Brille le cimier triomphal ;
Sa bouche est souriante et fière,
Son nez droit, son front sérieux,
Deux grands saphyrs sous sa paupière
Simulent l'azur de ses yeux.
Sous son casque sa chevelure
Vers le cou va se ramassant ;
Sur sa taille superbe et pure
En longs plis sa robe descend ;
Une de ses mains tient la lance,
L'autre la Victoire ; à ses pieds
Gît son bouclier d'or, immense,
Où les Géants sont châtiés.
Sa chaussure, pour broderies,
A des monstres domptés ou morts.
L'ivoire, l'or, les pierreries,
Les perles, recouvrent son corps ;
Sur la beauté de la matière
L'idéal jette son rayon,
Et Pallas, dans son sanctuaire,
Devient l'âme du Parthénon !
Colossale, passant du front le blanc portique,
En bronze, elle est debout sur le seuil ; de sa pique
Elle touche le ciel ; et les vaisseaux en mer
Aperçoivent de loin son aigrette dans l'air.
Sur le mont Pentélique, au fond, dans la campagne,
Ayant pour piédestal un bloc de la montagne,
C'est elle encor !... Tendant son égide aux guérets,
Elle soumet Bacchus et seconde Cérès.
Pâtres, navigateurs, pour la rendre propice,
Dans les champs, sur les eaux, offrent leur sacrifice :
Parmi les autres dieux, au cœur faible ou jaloux,
Sa sereine équité sert de refuge à tous :
Elle est la foi du pauvre, elle est pour le génie
Le suprême idéal, la sagesse infinie ;
Tous les Grecs en sont fiers, et, bénissant son nom,
Pour la glorifier courent au Parthénon.
IV
L'été dore la moisson blonde,
Les lauriers-roses sont fleuris,
L'Ilissus ralentit son onde,
L'Hymette invite à ses abris.
Des profondeurs de l'Empyrée
Le jour descend sur le vallon,
Du mont Pentélique au Pirée
Il étend son bleu pavillon.
La mer, assoupie et sans ride,
Reflète le clair firmament,
Et, blanche sous l'éther limpide,
Athènes sourit en dormant ;
Tout à coup des calmes vallées,
Des montagnes, du port lointain,
La foule, qui vient par volées,
Trouble le tranquille matin.
La cité s'éveille et s'empresse,
Les voix montent, le bruit grandit ;
Sur le temple de la déesse
Le char du soleil resplendit !
C'est la plus belle des journées,
C'est la fête aux riants combats,
La fête des Panathénées,
La grande fête de Pallas !
C'est la procession de la fière déesse !
En tête on voit marcher les vieillards de la Grèce,
Calmes, majestueux et beaux comme Nestor ;
Sur leurs cheveux d’argent rayonne un cercle d'or ;
Leurs longs manteaux sont blancs, et, jusqu'à la ceinture,
Leur barbe tombe à flots comme une neige pure ;
Dans leur droite étendue à l'orient vermeil
Des rameaux d’oliviers s'inclinent au soleil ;
Puis viennent les guerriers aux formidables tailles,
Qui portent la cuirasse et la cotte de mailles .
L'image de Pallas jaillit de leurs cimiers,
Ils frappent en chantant l'orbe des boucliers,
Et le peuple applaudit leurs poses intrépides.
Beaux comme Éros, couverts de légères chlamydes,
Les Éphèbes, en rangs, sur leur cou velouté
Laissent voir le duvet, fleur de la puberté.
De tout petits enfants, les mains entrelacées,
Agitent gravement de frêles caducées,
La rose, en gais festons, ceint leurs fronts ingénus,
Et sous leur robe claire on dirait qu'ils sont nus.
Les vierges, s'avançant en longues théories,
Couvrent leurs chastes corps de chastes draperies ;
Il semble à voir flotter leurs souples vêtements
Qu'un rythme intérieur règle leurs mouvements ;
La pourpre des réseaux, l'azur des bandelettes,
Aux nœuds de leurs cheveux s'enlacent sur leurs têtes :
De leur double tunique à la blancheur de lis
Un ceste brodé d'or soutient les larges plis ;
Les corbeilles de nacre au front des Canéphores
Contiennent les gâteaux et les lyres sonores,
Le blond rayon de miel, le fuseau diligent,
Et le lin et l'olive au feuillage d'argent.
Les filles de l'Asie, avec leurs noires tresses,
Les suivent, balançant au front de leurs maîtresses
Un léger parasol, ou tenant à la main
Le pliant que l'on dresse au rebord du chemin.
D'autres sentent fléchir leurs épaules d'ébène
Sous le fardeau pesant de quelque amphore pleine
Où s'agite en marchant l'eau des libations.
Puis, le masque à la main, passent les histrions :
Des danseurs de théâtre et des joueurs de flûte,
Des athlètes du stade exercés à la lutte,
Des Rapsodes mêlant sur le cistre de fer
Au pœan de Pallas l'hymne de Jupiter,
Et des mimes, debout sur un roc qui s'affaisse,
Figurant les Titans vaincus par la déesse.
L'on aperçoit enfin sous le bleu firmament
Le navire sacré qui monte lentement !
Il semble qu'il ondule en sa marche légère,
Ainsi que sur les flots il glisse sur la terre ;
Il est d'ivoire et d'or, et, couronnés de fleurs,
De beaux adolescents sont au banc des rameurs.
Un voile merveilleux, que les filles d'Athène
Ont brodé de leurs mains, ombrage la carène :
On y voit, reproduits, les héros triomphants,
Et Pallas qui sourit à ses mâles enfants !
En tête du vaisseau les Archontes s'avancent :
Des bâtons dans leurs mains en sceptres se balancent,
Une sardoine brille à l'anneau de leur doigt,
Une autre de leur front ferme le bandeau droit.
Les prêtres, revêtus d'une robe flottante,
Où l'abeille reluit en bordure éclatante,
Portent en chancelant les lourds trépieds dorés,
Avec la grande coupe et les vases sacrés.
Derrière, à flots pressés, court le peuple en délire…
Au temple d'Apollon s'arrête le navire :
Les Arréphores vont détacher en chantant
Le voile lumineux que la déesse attend :
Le cortège les suit en files déroulées,
Il franchit le rempart, passe les Propylées,
Et déploie aux regards son ondulation
Du pied de l'Acropole au seuil du Parthénon !
Qui dira les splendeurs que le temple réserve
Pour les initiés au culte de Minerve ;
Quand la grande prêtresse, en étendant les bras,
Reçoit le voile pur des mains des Arréphores,
Et, tandis qu'à l'entour vibrent les chants sonores,
En recouvre Pallas !
Dans la lampe, au plafond jour et nuit scintillante.
On verse l'huile sainte à la mèche d'amiante,
Qui brûle sans pâlir et sans se consumer !
Comme l'œil vigilant de la grande déesse,
Qui sur Athènes luit et veille sur la Grèce
Sans jamais se fermer.
Autour du Parthénon on pose les offrandes :
Les corbeilles, le miel, les palmes, les guirlandes.
À la Pallas guerrière alors montent les vœux :
Là-bas, vers l'Ilissus, retentit l'hécatombe,
Et le couteau sacré qui se lève et retombe
Égorge trois cents bœufs !
C'est le signal des jeux et des cris unanimes :
Du sacrifice au peuple on livre les victimes ;
Bras nus il les dépèce et prépare, joyeux,
Ces immenses repas où, dans le Prytanée,
Depuis l'ombre du soir jusqu'à l'autre journée,
On boit à tous les dieux !
Le chevaux frémissants courent à l’hippodrome ;
Ils ont dans leur fierté quelque chose de l'homme ;
Chaque coursier se dresse et brave les défis ;
Sur son dos du pied gauche un cavalier s'élance,
Touche à peine à ses crins, le pique de sa lance,
Et les voilà partis !
Plus loin, quand vient le soir, l'autel de Prométhée
S'éclaire d'une torche à la flamme agitée :
Un Éphèbe en détache un brandon éclatant.
Un autre s'en saisit ; la course est poursuivie.
Le feu de main en main passe… comme la vie
Qu'on va se transmettant !
Dans les théâtres pleins sonnent les vers sublimes
Parmi le chant des chœurs et la danse des mimes ;
Puis viennent tour à tour les grands drames humains :
Prométhée, Antigone, et Phèdre, et les Nuées,
Toutes les passions de l'âme remuées
Par quatre hommes divins !
Les vainqueurs, radieux, reçoivent sur la scène
Le rameau d'olivier, l'amphore d'huile pleine,
C'est tout ! … l'art ne connaît que de libres soldats ;
Chaque héros est fier de mener ses cortèges,
Thémistocle, Aristide, à l'envi sont chorèges
Comme Épaminondas !
Le Beau, c'est la croyance, et l'Art, c’est la prière !
C'est le rayonnement de l'âme tout entière ;
C'est l'encens préféré de la Divinité !
Donner la vie au marbre, enfanter le poème,
C'est rendre hommage aux dieux, c'est être Dieu soi-même
En créant la beauté !
Un jour tout s'éclipsa… Cette grande harmonie
Qui naquit de Minerve au souffle du génie
Disparut, et laissa sur la terre un long deuil…
Qui donc de ces clartés a pu faire des ombres ?
Des vivantes cités d'immobiles décombres ?
De la Grèce un cercueil ?
V
Des peuples sans nom, des peuples barbares,
Tout couverts de peaux et d'armes bizarres,
Grands et chevelus, apportent la mort.
Ils sont accourus des forêts du nord !
Ils sont accourus du fond de l'Asie !
Se précipitant, dans leur frénésie,
Sombre tourbillon qui va grossissant,
Extermine et passe en roulant du sang.
Ils ont abattu les marbres sans tache
Et décapité sous leur lourde hache
Ces dieux rayonnants de sérénité
Qui les défiaient avec leur beauté !
Ils ont insulté la langue d'Homère,
Que l'Amour parlait à Vénus sa mère :
Langue où court l’image, où tout est vivant ;
Ils ont dispersé ses livres au vent.
Aux vases sacrés remplis d'eaux lustrales
Ils ont abreuvé leurs noires cavales,
Et dans le Céphise, aimé des trois sœurs,
De leurs corps hideux lavé les sueurs ;
Des blancs piédestaux ils ont fait des meules,
Et le sanctuaire, où les vierges seules
Auprès de Pallas veillaient nuit et jour,
Les a vus souiller les filles d'Athènes,
Et du sang des Grecs leurs mains encor pleines
Mêler à la mort leur horrible amour !
Puis, abandonnant ces rives en cendre,
Sur des bords nouveaux on les voit descendre,
Fiers d'être nommés les fléaux de Dieu,
Et laissant partout la mort pour adieu !
Mais de les porter quand la terre est lasse,
Disparus un jour, sans fonder leur race,
Ces fils du néant, après un grand bruit,
Pour l'éternité rentrent dans la nuit.
Ils étaient redoutés et terribles ! … qu'importe !
Leur vie est sans écho, leur renommée est morte ;
Le temps voue à l'oubli la force qui périt,
Car il ne survit rien d'un peuple que l'esprit !
Quel continent valut la Grèce et la Judée ?
Petites nations, immenses par l’idée !
Que sont nos océans près des flots dispersés
Des deux fleuves qu'au monde elles avaient versés ?
VI
Comme la bouche sèche et morne d'un cratère
Dont la cendre sans feu retombe sur la terre,
Foyer du monde antique, es-tu donc refroidi ?
Le corps s'est profané, – l'esprit s'est engourdi !
Le Bien, âme du Beau, tel qu'un soleil qui baisse
Aux bords de l'horizon, va déclinant sans cesse ! –
La forme dégradée, et l'idéal détruit,
Laissent l'art et le cœur dans une égale nuit !
Mais à cette heure sombre où l'humanité doute,
Quand l'artiste inquiet ne connaît plus sa route,
Les hommes de pensée et les hommes de foi,
Ô mère des grandeurs, se sont tournés vers toi !
Oui, l'exemple peut plus que ne peut la parole :
Partez, mineurs de l'art ! explorez l'Acropole,
Fouillez ce roc fécond, pesez dans votre main
Ces vieux marbres où court un souffle surhumain ;
De l'immortalité par leurs débris gardée
Interprétez le sens et retrouvez l'idée ;
Prosternez-vous devant l'immuable beauté,
Dérobez son mystère à son éternité,
Et, de tant de splendeurs reconquérant l'essence,
Rapportez parmi nous une autre Renaissance !
1853.